Le conseil interne en France : une thèse de Léandre OZOUF (Dauphine) dresse un paysage du secteur et en clarifie la définition (modèle Reconversion Vs Technicien), les organisations (centre de coût/profit) et les enjeux, sans échapper à la référence et la comparaison au conseil externe.

Léandre OZOUF a consacré en 2023 un mémoire à « L’état du conseil interne aujourd’hui en France : Formes, Missions, Recours et Implantation» (Université Dauphine – Mémoire de M2 124).

Outre la qualité propre de ce travail, il témoigne d’un intérêt pour le conseil interne et son développement, notamment dans les grands groupes, depuis sa naissance en France dans les années 90-2000.  Le mémoire dresse un paysage du secteur – encore très peu consolidé et très peu étudié par la recherche – et vise à en clarifier la définition, les contours et les enjeux.

Plusieurs point rejoignent et enrichissent les travaux et missions d’accompagnement effectués par Scolaconsult et DeVenir sur cette réalité du conseil en entreprise.

Les caractères clefs du conseil interne

  • L’impossible définition [1]du Conseil interne, étant donné la multiplicité des positionnements, organisations, appellations et missions spécifiques du conseil interne dans les différentes entreprises où il est présent (sujet largement documenté par Scolaconsult).
  • Le CI concerne essentiellement de (très) grandes entreprises et le CAC 40, avec une concentration dans 3 secteurs : banques-assurances, énergie et public ou parapublic (70% du total). On peut citer quelques exemples présentés p 53 dans le tableau des organismes recensés par Léandre OZOUF : BNP Consulting, CPAM des Yvelines, Hermès, RATP consulting, Société Générale, Total Energie.
  • La polyvalence et le multi usage de la fonction conseil interne en fonction des objectifs stratégiques de l’entreprise ont déjà été rappelés par DeVenir et Scolaconsult. 5 enjeux possibles : Anticipation stratégique, Conduite du changement et management de projet, Capitalisation & partage, Optimisation des coûts, Mobilité & gestion de carrière.
  • Le mode projet (ou plutôt support au projet) et la conduite du changement ou transformation d’entreprise sont dominants dans la plupart des structures de conseil interne, « car elle seule est transversale et non exclusive à un métier ou une direction ».

La segmentation « Réorientation » Vs « Techniciens »

Pour comprendre et analyser le conseil interne, Léandre OZOUF introduit une segmentation supplémentaire est identifiée par entre 2 catégories de conseil interne qu’il désigne comme modèles opérationnels :

  • Modèle « Réorientation » soit la mobilisation d’effectifs en sous-utilisation, notamment des cadres seniors ou en attente d’affectation de l’entreprise, pratiquant le conseil pour une durée limitée,
  • Modèle « Techniciens », centré sur le métier de consultant à l’image de cabinets conseil internalisés, avec une priorité aux résultats opérationnels et souvent exercé par d’anciens consultants externes plus ou moins expérimentés et recrutés par l’entreprise, publique ou privée.
  • Le second modèle tend à devenir dominant dans l’échantillon étudié dans le mémoire alors que le second l’était chez les pionniers du conseil interne comme Thalès, Safran ou la Poste (que DeVenir a accompagnés dans leur création et leur développement).

La segmentation stratégique classique : Centre de coût Vs Centre de profit

Léandre OZOUF reprend également la segmentation stratégique classique entre une organisation en centre de coût ou en centre de profit de la fonction conseil interne :

  • Le centre de coût ne pratique pas de facturation des services, ni souvent de propositions formalisée au client, écrite voire même orale.
  • Le centre de profit fonctionne comme un cabinet, propose et facture ses services, parfois au sein d’une structure dédiée.

Cette notion de centre de profit doit selon nous être nuancée car elle ne vise le plus souvent qu’à l’équilibre et ne prend pas en compte les « externalités » (personnel, fonctions support, logistique, et même image…).

Surtout, la notion de centre de profit rend mal compte de l’activité car celle-ci ne suppose aucune action commerciale, même dans des filiales comme c’est le cas de SNCF consulting, 90 ETP environ (les missions sont « apportées » par le direction des achats ou la prescription d’autres cadres de l’entreprise ). Seule la récurrence des missions peut attester de la qualité de la relation client.

Autre segmentation : les raisons du recours au conseil interne

Léandre OZOUF propose une autre segmentation concernant les causes de recours au conseil, moins innovante, entre facteurs opérationnels (rapidité d’intervention, connaissance de la société, de ses technicités et de sa culture interne, dont les résistances au changement, confidentialité) et ce qu’il appelle non opérationnels et que nous dirions plutôt stratégiques (enjeux RH, budgétaires – par la maîtrise du recours au conseil externe, pilotage et synergie entre conseil interne et conseil externe).

Nous avons cependant identifié quelques limites à l’étude qui pourraient en nuancer le résultat.

Les sources mobilisées

La principale source de l’étude empirique est l’AFCI, Association Française de Conseil Interne qui regroupe les entités conseil des seules entreprises adhérentes, dont le rôle principal est la défense et promotion du conseil interne et qui dépend des données déclaratives de ses adhérents, https://www.afci-conseilinterne.fr/

La comparaison avec le conseil externe

Le point central, que met en avant d’ailleurs Léandre OZOUF est que « le Conseil interne peine à se défaire de l’ombre du conseil externe, constante référence de comparaison ou d’opposition». Or le conseil externe est ici considéré comme un bloc, alors qu’il est un secteur d’activité complexe et hétérogène, qui regroupe des entités et des missions, voire des philosophies très différentes et des interventions à des niveaux très divers des projets de l’aval, la conception et la stratégie, à l’amont, le déploiement et le micro déploiement sur le terrain.

On relira ici les analyses de DeVenir et Scolaconsult sur les familles conseil au moment de l’affaire Mc Kinsey [2]:

« Il faut savoir se repérer entre 5 grandes familles conseil : conseil de conviction (souvent des conseils en stratégie), conseil d’intermédiation (typiquement le conseil en recrutement), conseil personnalisés ou d’expérience (les cabinets « en », en management, en RH, …) conseil méthodologique, typiquement le conseil en productivité, en mobilité professionnelle, l’audit … le conseil interne aux entreprises ou aux services publics et ministères relève de cette catégorie). Enfin, cinquième famille, le conseil numérique (autrefois appelé assistance technique), qui atteint 80 à 90 % du conseil au secteur public par exemple. »

Les natures d’intervention, les niveaux de recrutement et les prix de journée[3] (de quelques centaines € par jour jusqu’à la fourchette haute pour le conseil en stratégie « complexe » de plus de 20 000 €. Les prix varient de plus en fonction de l’expérience (un rapport qui peut aller de 1 à 10 entre juniors et associé). » 

Dès lors les notions proposées de complémentarité, de concurrence ou de substituabilité du conseil interne et du conseil externe n’ont pas grand sens si elles cherchent à être générales. De même qu’annoncer comme le font certains acteurs en interview des parts moyennes de 30 % des missions conseil au global ou d’économie globale sur les taux de facturation est inopérant. A noter cependant : la tendance des managers du conseil interne à rejoindre des cabinets conseil à la suite de leur expérience en entreprise, avec plus ou moins de réussite dans la transition.

La sous estimation du conseil interne dans le secteur public

Dernier point enfin, l’accès aux données du secteur public, pris au sens large, reste difficile, avec de multiples structures parfois difficiles à identifier (au-delà des Inspections Générales dont le rôle est différent et les missions stratégiques et souvent confidentielles).

Une étude complémentaire pourrait s’intéresser aux perspectives de développement importantes du conseil interne dans le secteur public, auquel incitent la Cour des comptes depuis 2003 ainsi que les différents rapports parlementaires parus au moment du McKinseygate. Le rôle de la DITP, Direction Interministérielle de la Transformation Publique, y apparaît central .

En bref, une étude importante sur un secteur mal connu, à lire absolument dans son intégralité.

 

Synthèse

 

[1] Léandre OZOUF retient la définition de Sturdy, Wylie & Wright (2015) qui désignent le conseil interne comme les «collaborateurs spécialisés qui fournissent conseils, aide et expertise aux managers opérationnels et aux équipes, notamment dans un contexte de projet impliquant des compétences de conseil»
[2] Il est clair que l’objet du mémoire n’était pas de dresser le tableau du conseil en cabinet et que les sources d’information sont pas ailleurs très disparates et souvent confidentielles. Ceci ne constitue donc pas une critique du travail réalisé dans le présent mémoire.
[3] Source UGAP 2022
Categories: Analyse, Invités|Mots clés : , , , , |