Le projet Everest d’EY devait séparer audit (40 % du CA) et conseil (60%). Il a été stoppé, victime du véto des Partners US, des fiscalistes, en particulier. Trop de complexité, volatilité des marchés, crise de la tech et inégalités de rémunération des 13 000 Partners : 2 millions $ cash pour les auditeurs Vs rémunération à 5 ans au prix de marché et plus de variable pour les consultants.
Si vous n’avez que quelques minutes
Les métiers du conseil et de l’audit n’ont pas de mémoire. La spécialisation de DeVenir depuis 30 ans nous permet de comprendre et resituer l’actualité de EY et son projet Everest dans l’histoire longue. Les retours de balancier entre audit et conseil ne sont sans doute pas près de se terminer.
Retour sur le feuilleton EY Lancé officiellement le 8 septembre 2022, il a été abandonné le 11 avril 2023, mais n’est peut-être pas définitivement enterré, comme semblent encore l’espérer les Partners français. EY compte 312 000 collaborateurs dans le monde, dans 150 pays et réalise un chiffre d’affaires de 42,5 milliards $ en 2021, 40% pour l’audit et 60% pour le conseil. EY devait, avec le projet Everest, bouleverser les marchés de l’audit et du conseil en séparant ses deux activités. La montagne a accouché d’une souris et le projet de EY est tombé, victime du véto des Partners américains et en particulier des fiscalistes. Il a aussi été victime de sa complexité, ses ambiguïtés et de nombreuses inconnues, notamment sur l’état des marchés financiers, la crise de la tech et les préférences individuelles des 13 000 (350 en France) Partners de l’audit et du conseil et les inégalités entre leur mode de rémunération : 2 millions $ cash Vs rémunération à 5 ans au prix de marché et plus de variable. La séparation entre audit et conseil au sein des Big4 (Large Multidisciplinary Firms), pour préserver l’indépendance des auditeurs, faire taire les accusations de conflits d’intérêts et les scandales financiers et se conformer aux prescriptions du législateur et du régulateur, est un marronnier de la profession depuis l’affaire Enron et la chute d’Andersen et la crise financière de 2008. Les arguments pour le projet de séparation de EY Les arguments contre la séparation l’ont finalement emporté, mais de nombreuses raisons, souvent fondées, avaient été avancées par EY. Raisons stratégiques : élargissement de la base client et grands comptes, nécessité de couvrir de nouvelles compétences en stratégie, digital et développement durable en particulier, capacité à attirer et fidéliser des talents. Raisons techniques : séparation des activités d’auditeur et de commissaire aux comptes, règles de séparation du channel 1 et du channel 2, différence de rentabilité et de taux de croissance des 2 activités, complexité et imbrication des diverses disciplines – conseil, stratégie, transactions, juridique et fiscal… Les raisons de l’abandon de son projet par EY Le projet Everest d’EY a achoppé sur plusieurs points durs : l’épineuse question des modalités de partage entre l’audit et le conseil des activités des fiscalistes, aux Etats Unis, mais surtout les règles de la partnership : unanimité dans chaque practice et principe de stewardship. Les inégalités de traitement et de rémunération des Partners audit et conseil, 2 millions $ cash Vs rémunération à 5 ans au prix de marché et plus de variable, ont signé la fin du projet Everest. De plus l’épineuse question de la répartition du passif (lié aux scandales et évalué à 4 milliards $) n’était pas tranché, du moins publiquement, par EY. Merci à Consultor, le média spécialisé du conseil en stratégie, www.consultor.fr pour sa richesse d’information, en particulier sur le montage financier envisagé par EY. |
Une législation de plus en plus contraignante sur la séparation entre audit et conseil.
L’obligation de séparer les activités audit et conseil au sein d’une même firme (muraille de Chine) est un principe constant. « La séparation entre audit et conseil, plus exactement entre mission de certification des comptes et « services autres que la certification des comptes (SACC) » est encadrée par l’article L. 822-11 du Code de commerce — lui-même issu de l’article 104 de la LSF — et par l’article 10 du Code de déontologie des commissaires aux comptes ». A ce principe de non cumul s’ajoute en France depuis 1966 l’obligation de co- commissariat aux comptes destinée à renforcer l’indépendance de l’auditeur.
Deux crises majeures ont entrainé un renforcement de la législation pour éviter le mélange des genres : la crise Enron/Andersen (Loi Sarbane Oxley) et la crise financière de 2008, y compris le rôle d’Ernst & Young, rebaptisé EY, auprès de Lehman Brothers. C’est l’origine de la Directive Barnier, sorte de Sarbane Oxley européenne en 2013. L’affaire Enron entraina la remise en cause puis la disparition de l’un des 5 Big, la firme d’audit Andersen, séparée de sa branche conseil devenue Andersen Consulting en 1989, renommée Accenture en 2001, avec le succès que l’on sait. La valeur d’Accenture est passée de 6 milliards $ après sa séparation d’Andersen à 175 milliards à l’heure actuelle. La valorisation boursière d’Accenture a atteint 22 fois son EBITDA en 2012 et la firme compte, 710 000 salariés dans 120 pays. A la suite du scandale Enron, les géants de l’audit, les Big 4, sont sortis du conseil : cession d’EY Conseil à Cap Gemini, de KPMG Consulting UK et Pays-Bas à Atos, de PwC à IBM, et séparation en France seulement de Deloitte Consulting de Deloitte Touche Tohmatsu. Depuis, les Big n’ont eu de cesse que de réinvestir le marché du conseil. Après la crise financière de 2008, la CE a souhaité rouvrir le débat sur le rôle de l’audit et a publié en 2010 un Livre vert intitulé « Politique en matière d’audit : les leçons de la crise » qui préfigurait la directive Barnier présentée en décembre 2013. L’objectif était de contraindre les entreprises à faire tourner les cabinets tous les 10 ans et tous les 24 ans, en cas de co-commissariat, une spécificité française (au sein du CAC 40, le mandat moyen des cabinets d’audit était d’environ 20 ans). Un plafond maximum de conseil chez les clients audités était fixé à 70 %. La loi dite PACTE de 2019 instaure une nouvelle mission pour le commissaire aux comptes dont la durée du mandat est limitée à trois exercices (C. com. art. L 823-3-2 nouveau). La course à la taille des Big 4, et c’est un argument que les dirigeants d’EY avaient sans doute à l’esprit, pourrait par ailleurs être qualifiée par le législateur de situation de monopole de fait et de barrière à la concurrence (notamment pour les cabinets non anglosaxons). Le risque existe d’une nouvelle législation pour obliger à séparer les activités (Loi anti trust). Des exigences croissantes des régulateurs nationauxFace aux scandales, les régulateurs de la profession dans chaque pays vont par ailleurs au-delà des obligations légales en vigueur. En cause « la présentation inexacte la solidité du bilan de la société, ses liquidités et sa position sur le marché et la sous-estimation de l’ampleur des risques » Les différents scandales ont alimenté des mises en garde du régulateur au Royaume-Uni. Dès 2018, le Financial Reporting Council (FRC), le gendarme de l’audit au Royaume-Uni, annonçait qu’il pourrait interdire aux cabinets de fournir du conseil aux entreprises dont ils sont chargés de vérifier les comptes. Un avertissement à suivre. EY a multiplié les sinistres : Luckin Coffee en 2020 (amende de 180 millions $ à l’autorité américaine des marchés financiers), NMC Health PLC en 2022 (2,5 milliards $ devant la justice britannique pour des négligences dans ses contrôles des comptes du groupe d’hôpitaux Emirati qui a déposé le bilan en 2020) et aujourd’hui Wirecard en Allemagne. Après l’affaire Wirecard la partnership allemande de EY a été suspendue d’activité auprès de nouveaux clients cotés pour deux ans par l’autorité allemande de surveillance de l’audit, l’APAS. EY doit près de 4 milliards $ à ses créanciers. EY écope d’une amende de 500.000 €. Des sanctions allant de 23.000 à 300.000 € ont aussi été infligées à cinq commissaires aux comptes. Les sanctions auraient pu être encore plus sévères, si la nouvelle loi allemande sur l’intégrité des marchés financiers s’appliquait déjà. Elle renforce notamment la responsabilité pénale des commissaires aux comptes en portant les sanctions jusqu’à 16 millions €.. A ces avertissement sur la séparation audit conseil s’ajoute une mise en cause de certains auditeurs par la SEC, le gendarme boursier américain. La SEC a infligé en 2022 une amende de 100 millions $ au cabinet d’audit EY en raison de tricheries de certains employés lors d’examens d’obtention ou de maintien de leur licence d’expert-comptable. Il s’agit de la plus grosse pénalité financière jamais imposée par la SEC à une société d’audit, a précisé le régulateur. En 2019, KPMG avait écopé d’une amende de 50 millions $ dans une affaire semblable. « Nous avons pris à plusieurs reprises et de manière systématique des mesures visant à renforcer notre culture de mise en conformité, d’éthique et d’intégrité », a réagi EY dans une déclaration transmise à l’AFP. « Nous continuerons à mener des actions d’envergure, notamment des sanctions disciplinaires, des formations, de la surveillance et des communications qui renforceront encore plus nos engagements à l’avenir », a précisé EY. De méga amendes pour EY et tous les Big 4
|
Vous pourriez également être intéressé par :
Les Big four : des colosses aux pieds d’argile ?
Forts? Fragiles ? Les Big4 Ernst &Young, Deloitte, KPMG et Price Waterhouse Coopers, sont leaders de l’audit. Ils ne sont pas à l’abri des crises, externes et internes, rapports contradictoires avec le conseil, crise du partnership ... les coups de tonnerre comme la disparation d’Arthur Andersen restent une menace.Andersen, faut-il se réjouir de la chute d’une cathédrale ?
La crise de l’affaire Enron met fin à l’aventure d’Arthur Andersen, l’un des plus fameux des Big Five. Andersen avait toujours eu une réputation d’excellence. Son père fondateur revendiquait une honnêteté implacable et le slogan de la firme était «Think straight, talk straight ». Le déferlement de l’affaire Enron vient bousculer la donne. Comment analyser cette issue dramatique pour Arthur Andersen ? Est-ce un phénomène isolé ou la remise en cause d’un système professionnel et financier. Le nécessaire et difficile arbitrage entre chiffre d’affaires et éthique, entre revenus de l’audit et revenus du conseil est-il compromis ? Dans un parfum de scandale, c’est toute une profession qui entre dans « l’ère du soupçon » et connaît les risques de la disgrâce.