Serge Kampf fut le fondateur et le développeur d’un immense empire de services automatiques, la SSII Capgemini. En cinquante ans, il a construit un groupe qui pèse 11,9 milliards d’euros et emploie 180.000 personnes dans plus de 40 pays. Patron original au sein du CAC 40 et homme exigeant mais attachant, Serge Kampf a très tôt cru dans la dynamique des services informatiques. Ses relations avec le conseil et les consultants ont toujours été paradoxales, mélanges de succès et d’échec retentissant, du rachat de Bossard à l’échec de la fusion avec la branche conseil d’Ernst &Young (EY).

Un « patron de génie »

« Nous sommes en 1967 à Grenoble: les émissions de télévision sont en couleur pour la première fois en France. La ville est dans l’effervescence des Jeux olympiques d’hiver de 1968. Inspiré par ces changements technologiques et culturels passionnants, l’entrepreneur Serge Kampf décide que le moment est venu de lancer une société d’informatique, Sogeti. C’est ainsi que commence, non dans un garage mais dans un deux-pièces à Grenoble transformé en bureau, l’histoire de Capgemini.

Serge Kampf, ancien de Bull, titulaire d’une double licence d’économie et de droit se fait entrepreneur en fondant avec trois anciens collaborateurs du groupe Bull la société Sogeti, spécialisée dans l’assistance technique informatique. A force d’acquisitions et de restructurations, Sogeti est devenue le groupe Capgemini, SSII de 1er rang dans le monde. Parmi ces opérations, on trouve notamment l’acquisition de Cap et de Gemini Computer Systems, en 1975.

En 2015, soit près de cinquante ans après sa fondation, le groupe, présent dans plus de 40 pays, réalise un chiffre d’affaires de 11,9 milliards d’euros et emploie 180.000 personnes à travers le monde. Il est devenu l’un
des leaders mondiaux du conseil, des services informatiques et de l’infogérance et la SSII a été l’un des pionniers du numérique.

A l’âge de quatre-vingt-un ans et après avoir annoncé son départ en 2012, Serge Kampf s’est éteint dans sa ville natale de Grenoble. Il a été le seul patron du CAC 40 à avoir fondé son entreprise et occupe une place à part dans le paysage économique français, « un bâtisseur comme il en existe si peu », un fondateur d’empire.

Un homme d’exception

Dépeint par son directeur général Paul Hermelin comme « un patron au génie multiforme », il a su développer au niveau mondial une SSII dont les racines et les centres de décisions sont restés français.

Il était craint et adoré : « Il pouvait être sec et d’une générosité sans limite. ce mélange des deux galvanisait les gens. » Il était connu pour offrir des cadeaux à ses collaborateurs …ou des montres Patek Philippe à l’équipe de France de rugby en 1987. Ses amitiés étaient sans faille. Son exigence était compensée par une reconnaissance des personnes et des performances, selon la devise du groupe « People matter, results counts ».

Serge Kampf, le provincial, détonnait dans le milieu parisien et le CAC 40 et surveillait de près tout ce qui était devenu un empire. Depuis son bureau de l’Etoile, « il n’hésitait pas à envoyer à ses collaborateurs des mémos rédigés le week-end, et chacun redoutait le début de semaine. Il était aussi un grand défenseur de la langue française et tenait un bêtiser des fautes de certains collaborateurs. Chacun lui reconnaissait « d’inépuisables facultés dialectiques » et sa parole était respectée.

A ceux qui lui demandaient comment faire dans ce métier de services pour vendre de l’intelligence, il répondait : « Il faut de la sensibilité, de l’émotion, du cœur. En business, c’est comme en amour, l’important c’est d’aimer, aimer ses collaborateurs, aimer ses clients. »

Il était aussi un mécène généreux du rugby qui était sa passion, avec le bridge. Pupille de la nation, Serge Kampf répondait à ceux qui s’étonnaient de sa générosité œcuménique «Je n’ai hérité de rien, je peux donc disposer de tout». Outre ses nombreux engagements dans le rugby, dans les clubs de Biarritz et Grenoble, il avait notamment contribué à titre personnel à la recapitalisation du Monde en 1985.

Le rachat de Bossard

Les relations entre Serge Kampf et le conseil ont toujours été paradoxale, mélange de succès et d’échec retentissants.

Conscient de l’importance du conseil pour vendre de grands projets, de l’informatique et des services, il a voulu marier deux cultures longtemps étanches, celles de l’ingénieur et celle du consultant, en bâtissant le pôle consulting du groupe.

L’histoire de Capgemini Consulting commence en 1er janvier 1991, mais c’est le rachat total en 1997 de Bossard Consultants, seul cabinet de stratégie et d’organisation français à l’époque, qui marque un grand tournant dans l’histoire de Gemini Consulting (le cabinet adopte son nom actuel en 2005). Fort de son succès, Gemini Consulting poursuit sa stratégie de croissance externe en fusionnant avec Gruber Titze en Allemagne et la branche conseil du groupe Ernst & Young (E&Y) en 2000 – avec moins de bonheur (voir ci-dessous)

Près de quinze ans après son rachat par Capgemini, Bossard reste un cabinet mythique dans le monde des consultants qui restent fidèles à sa devise « Mieux vaut privilégier le dynamisme des hommes que la beauté des organigrammes. »
« Depuis la disparition de Bossard, pas moins d’une dizaine de spin off se réclament du cabinet. « La French Touch a disparu de la scène internationale et n’est plus majoritaire sur son propre marché. » (Mathieu Courtecuisse, KEA Partner, l’un des spin off et descendants de Bossard).

L’échec de la fusion avec Ernst &Young (EY)

En 2000 le rachat pour 11,5 milliards d’euros d’Ernst &Young (aujourd’hui EY, alors n° 1 parmi les grands cabinets de conseil et d’audit) concerne 7 pays (85 % du chiffre d’affaires) et devait donner naissance au numéro 5 mondial du conseil en services informatiques.

« Mais cette union s’est nouée dans un climat économique désastreux pour les services. Le rapprochement entre les 39 000 Geminiens et les 16 000 salariés d’Ernst &Young a d’ailleurs débuté sous le signe des vaches maigres par 5 400 suppressions de postes en 2001 et 2002 (sur 55 000 salariés dans le monde). Comme tant d’autres, cette fusion a rapidement buté sur l’organisation des hommes, le maillage des métiers et sur une conviction : « nous ne sommes pas du même monde ».

La greffe était trop difficile à prendre.
Le fondateur ne se reconnaît plus dans son groupe et le dira plus tard. «Je me suis retrouvé tout d’un coup en train de présider un meeting de 400 manageurs dans une salle où j’étais le seul à parler français, plus exactement, le seul à ne pas parler la langue des 16 000 personnes qui venaient d’être incorporées dans les effectifs du groupe.».

Refusant ce nouveau modèle, une vingtaine des 60  » vice-présidents  » (les  » VP « , grade équivalent à celui d’associé) de l’ancienne branche Gemini Consulting ont claqué la porte pour filer chez les concurrents comme Roland Berger, Mercer Consulting, Solving ou Valtech…ou ont créé spin off.
Reconnaissant a posteriori « la plus belle connerie de sa vie » Serge Kampf décidait de prendre du recul dans la gestion au quotidien. «J’ai alors pensé que se terminait le deuxième tiers de mon existence terrestre : j’avais 33 ans quand j’ai créé ma boîte en 1967, et trente-trois ans après, l’heure était sans doute venue de donner le pouvoir aux anglophones. J’ai entamé en 2000 le troisième tiers de ma vie sur Terre en espérant qu’il dure le plus longtemps possible.»

La SSII se recentrera sur ses deux métiers informatiques : l’assistance technique de proximité et l’infogérance. Le groupe se relèvera de cette crise qui l’avait mis en péril et Serge Kampf retrouvera son énergie de bâtisseur, jusqu’à céder la main en 2012 à Paul Hermelin qu’il considérait comme un fils.

Capgemini un demi-siècle d’histoire

Les premières années (1967-1975)
Les racines de Capgemini se trouvent à Grenoble, où Serge Kampf fonda Sogeti en 1967. En 1975, l’acquisition de 2 importantes sociétés de services IT, CAP et Gemini Computer Systems, fait de l’entreprise un leader en Europe, avec une présence dans 21 pays.

Le temps de l’expansion (1975-1989)
Le Groupe continue de grandir et de se développer ; son action se concentre sur des domaines allant des solutions d’investissement de capital aux services intellectuels de qualité. En 1989, restructuration interne, expansion européenne et pénétration du marché américain permettent à Capgemini de faire partie des 5 leaders mondiaux de ce secteur.

De nouvelles stratégies de croissance et une réorganisation du groupe (1990-1997)
Capgemini construit à un niveau mondial sa pratique du conseil en management, grâce à une série d’acquisitions stratégiques, parmi lesquelles United Research (1990) et le Groupe Mac (1991) aux Etats-Unis. Ces acquisitions ont permis à Capgemini de se développer dans le domaine du conseil en management. Le Groupe a par ailleurs progressivement étendu ses activités en Europe avec notamment l’acquisition de Data Logic en Scandinavie, d’Hoskyns au Royaume-Uni (1990), et de Volmac aux Pays-Bas (1992), complétées par celles de Gruber Titze & Partners en Allemagne (1993) puis de Bossard en France (1997).
L’acquisition d’Ernst & Young Consulting (2000) devait renforcer le profil international du Groupe, en accroissant très sensiblement sa présence en Amérique du Nord et dans un certain nombre d’autres pays d’Europe.

Construire le futur (1998 – aujourd’hui, avec une période de crise entre 2000 et 2005)
Au cours des dernières années, qui se sont révélées particulièrement difficiles pour le secteur des services informatiques (et du fait de la difficile intégration culturelle du conseil Ernst& Young) il est apparu nécessaire de rééquilibrer le portefeuille d’activités du Groupe en faveur de deux de ses métiers : l’assistance technique de proximité et l’infogérance (plan stratégique LEAP Leadership Alignment Portfolio). L’acquisition de Transiciel, fin 2003, a permis à Capgemini de doubler la taille de Sogeti, l’entité créée en 2001 dans le domaine de l’assistance technique. Aujourd’hui Sogeti, qui représente 15% du chiffre d’affaires du Groupe, est le leader européen dans ce segment de marché, tout en se développant aussi aux Etats-Unis. Dans le même temps a été développée une offre offshore –avec notamment 20 500 collaborateurs basés en Inde en 2009, suite à l’acquisition de Kanbay, ainsi que des centres offshore au Maroc et en Argentine – et des ressources nearshore dans des pays incluant la Pologne et l’Espagne. En 2015, Capgemini acquiert l’entreprise d’outsourcing Igate.

Bibliographie

Site officiel Capgemini et Capgémini Consulting

Ouvrages

  • Serge Kampf, le plus secret des grands patrons français, Tristan Gaston-Breton, ‎Jacques Chancel – Paris, 2014
  • La saga Cap Gemini: l’incroyable histoire de l’une des plus belles « success stories » françaises de l’informatique, Tristan Gaston-Breton Point de mire, 1999 – 165 pages
  • Le conseil en management: Analyses et études de cas, Patrick Gilbert, Antoine Lancestre, 2008

Lu dans la presse

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