Les consultants jouent un rôle important dans la transformation des politiques publiques (RGPP, MAP). Un appel d’offres de 25 millions € est lancé. Les grands cabinets répondent en consortium. La digitalisation est à l’ordre du jour. L’Etat attend un effet significatif et rapide pour des services publics 4.0.

Politiques publiques et réforme de l’Etat

La France s’est engagée depuis longtemps déjà, mais avec un succès mitigé, dans la réforme de l’Etat et l’évaluation et la rationalisation de ses politiques publiques. Quelles que soient les orientations politiques, l’objectif reste constant et les consultants participent de plus en plus largement à cette volonté de réforme.

Au cours des trente dernières années, les consultants extérieurs sont devenus des acteurs plus visibles (et parfois contestés) du processus de réforme du secteur public. La sphère de la haute fonction publique (les Inspecteurs des Finances et les autres grands corps d’inspection, les X …) les considérait parfois comme concurrents sur le plan des idées et des compétences et parlaient leur égard de manière péjorative « des géomaîtres du monde » ou la « consultocratie ». 

On observe ce souci d’évaluation des politiques publiques dès les années 60, avec la « Rationalisation des choix budgétaires (RCB), le Rapport Viveret (1989) « L’évaluation des politiques et des actions publiques ou la réforme » et le mouvement de « Renouveau du secteur public » du gouvernement Rocard.

La donne change vraiment dans les années 80-90, sous l’influence des thèses du « nouveau management public » qui incitent les gouvernements à rechercher et importer les pratiques de gestion et les normes de performance du secteur privé et de l’entreprise.

La réforme de l’Etat devient l’un enjeu des élections présidentielles de 1995, à la suite du rapport d’expert présidé par Jean Picq « L’Etat en France – servir une nation ouverte sur le monde ». Jean Ludovic Silicani, son rapporteur général, devint le commissaire à la réforme de l’Etat, rattaché directement au Premier ministre, et mis à disposition du ministre chargé de la réforme de l’Etat.

Le commissariat à la réforme de l’Etat avait un rôle d’impulsion et de coordination interministérielle, sans levier sur la mise en œuvre, qui était déléguée, aux services à vocation interministérielle (direction générale de l’administration et de la fonction publique, direction du budget, administration préfectorale) ou directement aux ministères et aux administrations centrales.

Les consultants jouaient d’ores et déjà un rôle dans cette politique. Le commissariat comptait à l’époque environ 25 personnes, dont une quinzaine de chargés de mission de haut niveau aux origines assez variées, « même s’il n’a pas été possible de bénéficier de cadres provenant du secteur privé, ce qui a conduit le commissariat à passer des commandes à des cabinets d’audit privés. » (Rapport de la Cour des Comptes)

La révision générale des politiques publiques (RGPP)

En 2007, Nicolas Sarkozy lance la RGPP, « Révision générale des politiques publiques » dirigée par François Daniel Mingeon, un ancien de Mc Kinsey, qui s’entoure de consultants extérieurs en majorité, mais aussi de consultants formés et  recrutés en interne à la Fonction publique dans les Ministères et qui bénéficient de l’apport méthodologique des premiers.

La RGPP visait une mise à plat de l’ensemble des missions de l’Etat afin d’identifier les réformes susceptibles de réduire les dépenses de l’Etat tout en améliorant l’efficacité des politiques publiques. La première vague de la RGPP a consisté en des réformes structurelles (réorganisation de l’administration centrale et des services extérieurs de l’Etat) et une simplification des procédures administratives. La deuxième vague, lancée en 2010, visait en priorité les fonctions supports de l’Etat ainsi que l’amélioration du service rendu à l’usager.

De nombreux rapports ont évalué la mise en œuvre de la RGPP : dès 2009, la Cour des comptes regrette une démarche trop quantitative, en 2010 et 2011, des rapports parlementaires s’inquiètent d’une procédure trop centralisée et s’interrogent sur la règle du « un sur deux », pour les remplacements des agents partant en retraite, qui occulte un peu les autres objectifs et résultats de la démarche.

La Cour des comptes considère que même si l’enjeu budgétaire n’est pas considérable, le recours au conseil extérieur doit être mieux cadré.

Les dépenses de conseil extérieur de l’Etat ne s’élèvent quà environ 150 millions d’euros par an en moyenne entre 2011 et 2013, même si le montant a plus que doublé entre 2007 et 2010. Au total, la facture atteignait 1,1 milliard (en 2011) pour l’ensemble des administrations publiques, mais elle est beaucoup moins importante qu’au Royaume-Uni (4,4 milliards) – qui est allé plus loin en matière de politique de dérégulation et d’externalisation – et même qu’en Allemagne où le rôle des consultants internes est traditionnellement plus important (2,8 milliards).

Concernant l’Etat, les ministères de l’Economie et des Finances sont les plus gros consommateurs, avec 30% des dépenses, suivis de Matignon et de la Défense. A eux quatre, ces ministères sont responsables des deux tiers de l’addition.

Il est à noter qu’elle est concentrée sur un nombre limité de prestataires, puisque les 10 premiers cabinets de conseil représentent plus de 40% du volume total de facturation entre 2011 et 2013 ; au premier rang desquels Cap Gemini, en raison de son intervention sur la conception d’un système informatique de paie, aujourd’hui abandonné.

Si l’appel à des consultants peut être « justifié » lorsque l’administration ne dispose pas des compétences nécessaires, il peut aussi parfois être « plus contestable », soulignent les Sages de la rue Cambon. Cette pratique peut en effet « entraîner la perte de certaines compétences utiles à l’Etat », voire une « dilution de la responsabilité des décideurs publics ».

La Modernisation de l’action publique (MAP)

Avec l’alternance politique, la RGPP laisse place à une nouvelle organisation : la MAP, pour « Modernisation de l’action publique ». Sous François Hollande et avec l’objectif de mettre en œuvre « le choc de simplification » demandé par le Président de la République, la MAP poursuit des objectifs plus prudents, notamment en matière sociale, avec une visée plus consensuelle avec les ministères et les services concernés

Le comité interministériel pour la modernisation de l’administration publique (CIMAP) dirigée par J. Filipponi avait annoncé 200 mesures de simplification, dont 142 mesures nouvelles et 59 chantiers en cours.

Les mesures arrêtées par le CIMAP étaient organisées autour de cinq orientations : simplifier l’action publique, mesurer la qualité du service public, accélérer la transition numérique, évaluer pour moderniser les politiques publiques, intégrer les agences et les opérateurs (Ministères, collectivités locales, …).

Les 40 politiques publiques évaluées représentent un budget de 250 milliard d’euros, soit plus de 20% de la dépense publique annuelle (1120 Mds d’euros).

La MAP privilégie les ressources et les compétences internes. On y observe une prépondérance des Inspections générales qui réalisent 58 évaluations sur les 65 engagées.

Certaines critiquent incriminent une tendance à la cogestion, notamment dans la concertation avec les syndicats et cette politique, plus consensuelle, est jugée moins ambitieuse que la RGPP.

La part des consultants est notablement réduite, soit 1,7 millions d’Euros sur 4 ans, essentiellement consacrés au recueil de données et focus group (source rapport KPMG Quadrant – voir bibliographie en annexe).

Le rôle de pilotage des cabinets de consultants privés demeure pourtant une réalité. France Stratégie souligne que 25 % du personnel de la DGME (Direction Générale de la Modernisation de l’Etat) était issu de cabinets de consultants privés et qu’ils ont joué un rôle privilégié dans les réorganisations, notamment par l’application du « lean management ».

La transformation publique

Le gouvernement Macron reprend l’offensive de la réforme de l’Etat stratège avec la nomination, comme délégué interministériel à la transformation publique, de Thomas Cazenave.

Thomas Cazenave, codirecteur de l’ouvrage « L’État en mode start up », est Inspecteur des Finances, a été associé à la commission Attali, avant de devenir directeur adjoint de cabinet à Bercy en 2016 et de rejoindre ensuite l’Elysée comme secrétaire général adjoint.

La nouveauté de cette politique publique est qu’elle imposera sans doute de faire du digital et de l’intelligence artificielle le levier majeur de modernisation de l’action publique sur la prochaine mandature et de « changer d’échelle ».

La révolution digitale pose trois grandes questions à L’Etat :

1.       Comment stimuler la transformation numérique dans les différents secteurs économiques ?

2.       Comment jouer son rôle de régulateur dans un contexte radicalement nouveau ?

3.       En tant qu’opérateur du service public, comment opérer sa propre transformation digitale et adopter les codes du digital pour réussir ses projets ? Comment réussir le changement culturel ?

Après avoir nourri le groupe dédié à la réforme de l’Etat pendant la campagne d’En Marche, le nouveau délégué interministériel à la transformation publique (DITP) vient d’annoncer l’ouverture de chantiers ambitieux début février dotés d’un budget de 700 millions d’euros, dont une enveloppe de 25 millions pour les cabinets conseil.

L’arrivée prochaine dans l’équipe de Thomas Cazenave d’Axel Rahola, haut fonctionnaire, ancien directeur adjoint du cabinet d’Éric Woerth au ministère du Travail et rapporteur du comité interministériel de la dépendance, devenu depuis associé au sein de l’entité secteur public chez Cap Gemini, témoigne également du retour en grâce des cabinets de conseil.

Trois lots à attribuer

Les enjeux du (des) marché de 25 millions d’Euros au total sont importants pour les cabinets conseil qui ont tous développé une practice secteur public, mais peinent parfois à la développer, notamment à cause de la lourdeur des processus d’appel d’offres.

Nombreux sont ceux, parmi les plus grands bien sûr mais aussi parmi d’autres, à avoir répondu aux appels d’offres initialement lancés en octobre par le secrétariat général pour la modernisation de l’action publique (SGMAP) pour tous les ministères, à l’exception de celui de la Défense, les administrations centrales, les organismes et établissements publics de l’Etat.

Bien que cela ne soit pas obligatoire, tous les candidats se sont présentés en consortium, à l’écoute du message de l’acheteur public, qui souhaite référencer le plus grand nombre de compétences.

On compte parmi les cabinets conseil en compétition :

–          McKinsey et Accenture, un duo historique sur ces marchés,

–          Roland Berger et Wavestone,

–          BCG (absent de la consultation il y a quatre ans) et EY,

–          Oliver Wyman (pour la première fois) et Capgemini,

–          PwC avec Mazars.

Aujourd’hui trois lots sont mis en compétition :

1.       « Stratégie et politiques publiques » 

2.       « Conception et mise en œuvre des transformations » 

3.       « Performance et réingénierie des processus ».

Chacun des lots sera confié à 3 attributaires pour les lots 1 et 3, et à 4 pour le lot 2. Le tout pour un montant estimatif annuel de 25 millions d’euros, sans indication de « minimum » ni de « maximum », comme l’autorise pourtant le Code des marchés publics.

Les premières prestations sont espérées au deuxième semestre 2018 mais du retard a été pris. L’attribution de ces marchés, initialement prévue au printemps et passés par le SGMAP a été confié à Thomas Cazenave.  Un délai supplémentaire sera sans doute nécessaire, le temps que les services de la DITP passent de la tutelle de Matignon à celle de Bercy.

Une mécanique complexe

Des études de cas ont été soumises aux cabinets de conseil ayant répondu à la consultation pour assister les pouvoirs publics dans la conception et la mise en œuvre de la réforme de l’Etat.

Elles illustrent le type de mission à venir. Ces cas « sont représentatifs des missions que le SGMAP pourrait être amené à conduire, mais ne correspondent en aucun cas à une intention de réforme de l’opérateur ou du ministère », prend la précaution de préciser le document transmis en annexe du règlement de la consultation.

Pour le lot 1 « Stratégie et politiques publiques », la première étude de cas sur la « réalisation d’une étude stratégique » porte sur la prise en charge de la dépendance dans un contexte de contrainte budgétaire accrue.

La deuxième, sur une « évaluation des études publiques », concerne l’organisation et le fonctionnement des ordres professionnels de santé sur lesquels s’interroge la puissance publique.

Pour chacun des lots 2, « Conception et mise en œuvre des transformations », et 3, « Performance et réingénierie de processus », les études de cas concernent trois prestations : concrétisation de la vision stratégique, conception de la transformation et sa mise en œuvre pour celles du lot 2 ; appui à l’analyse de la performance, appui à une opération de réingénierie de processus et appui au pilotage.

Parmi les cas soumis, celui de la redéfinition du rôle du ministère de la Culture en matière de tutelle, avec une refonte du dispositif de pilotage des plus de 60 opérateurs concernés.

Un autre exercice consiste à proposer une démarche complète de transformation de l’organisation territoriale de la politique de l’emploi.

 Les résultats de la consultation sont attendus avec impatience par les cabinets conseil. L’Etat de son côté en attend un effet significatif et rapide pour des services publics 4.0.

 

Bibliographie

Réforme de l’Etat : les cabinets de conseil dans les starting-blocks, Les Echos, Antoine Boudet, 27 décembre 2017 https://www.lesechos.fr/industrie-services/services-conseils/0301029639180-reforme-de-letat-les-cabinets-de-conseil-dans-les-starting-blocks-2141287.php

Comment l’Etat entend mener à bien la transformation de l’action publique par Antoine Boudet, les Echos, 27 décembre 2017 https://www.lesechos.fr/industrie-services/services-conseils/0301072356105-comment-letat-entend-mener-a-bien-la-transformation-de-laction-publique-2141259.php

Le rôle des consultants dans le « big bang » de la fonction publique, Consultor, 19 février 2018, http://www.consultor.fr/devenir-consultant/actualite-du-conseil/5051-le-role-des-consultants-dans-le-big-bang-de-la-fonction-publique.html

Thomas Cazenave, l’idole des macronistes pour disrupter l’Etat, La lettre A, 8 février 2018 https://www.lalettrea.fr/action-publique_executif/2018/02/08/thomas-cazenave-l-idole-des-macronistes-pour-disrupter-l-etat,108293350-arl

Le recours par l’Etat des consultants n’est pas assez encadré, par Cyrille Pluyet Le Figaro, 13 mars 2015  http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2015/03/12/20002-20150312ARTFIG00166-le-recours-par-l-etat-de-consultants-exterieurs-n-est-pas-assez-encadre.php

Rapport de la Cour des comptes à la demande du Sénat, 12 mars 2015, https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/EzPublish/20150312-rapport-recours-etat-conseils-exterieurs.pdf

KPMG (avec Quadrant) Evaluation de la démarche globale d’évaluation des politiques publiques menée dans le cadre de la modernisation de l’action publique, février 2017 http://www.modernisation.gouv.fr/sites/default/files/fichiers-attaches/evaluation_epp-map_rapport.pdf

EY, rapport mars 2017 (avec l’Institut de l’entreprise « Pour une transformation de l’action publique Réussir la réforme à l’ère du numérique http://www.ey.com/Publication/vwLUAssets/ey-etude-transformation-de-l-action-publique-mars-2017/%24FILE/ey-etude-transformation-de-l-action-publique-mars-2017.pdf

France Stratégie, Bilan de la RGPP et de la MAP en matière de modalités d’accompagnement et de bonne appropriation par les agents, 7 mars 2018  https://fichiers.acteurspublics.com/redac/pdf/2018/2018-03-07_FRANCE-STRATEGIE_Bilan-RGPP-MAP.pdf

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