Les faits qui font polémique
Haro contre McKinsey et la nomination d’Éric Labaye à Polytechnique après la tempête de l’Ecole Libre de Bruxelles. Mandarins contre gourous du management ? Déni de compétence et de légitimité des consultants ? On oublie que c’est un retour aux sources pour McKinsey, universitaire d’origine.
Pour le lecteur pressé
Cette défiance vis-à-vis de McKinsey illustre le fossé souvent observé entre la pensée du monde académique (Université, Grande Ecole) et celle du conseil. Elle dépasse les limites de ce major du conseil en stratégie pour viser l’ensemble du conseil.
Ces débats font l’impasse sur le parcours académique de James Oscar McKinsey, formé à l’Université de Chicago avant de créer la grande firme conseil et les bases de sa « doctrine » et de ses méthodologies.
On analysera les fondements de cette critique et de cette défiance de l’Université et des Ecoles dans la seconde partie de cet article : Mandarins contre gourous 2/2 Des systèmes de pensée qui s’opposent.
Après des années de bataille entre Ecole et université sur le site, le gouvernement a acté la création de deux pôles universitaires : l’un autour de l’Université Paris-Sud (Saclay) et l’autre, baptisé temporairement « NewUni », autour de Polytechnique. Cinq Ecoles composent aujourd’hui NewUni : Polytechnique, Ensta ParisTech, Ensae, Telecom ParisTech et Telecom SudParis. Ce à quoi il faut ajouter l’alliance, enclenchée en mars, entre Polytechnique et HEC.
Le choix d’Eric Labaye
Voici sa biographie présentée par l’Ecole Polytechnique (à laquelle la revue de Polytechnique, le Jaune et le Rouge, ne consacre qu’un très – très- bref entrefilet).
Diplômé de l’École Polytechnique (X80), de Télécom ParisTech et d’un MBA de l’INSEAD (prix Henry Ford II). Avant de rejoindre l’École Polytechnique en tant que Président du conseil d’administration, en septembre 2018, Eric Labaye était directeur associé senior chez McKinsey & Company, où il travaillait depuis une trentaine d’années.
Il a notamment initié et codirigé le programme mondial de recherche « Women Matter » qui, depuis 10 ans, vise à faire progresser la mixité au sein des instances dirigeantes des entreprises. Il a été le Directeur Général du bureau français, membre de l’Operating Committee mondial en charge du développement et de la diffusion du capital intellectuel de McKinsey et membre du Comité d’Administration mondial, dont il a présidé le Comité Client en charge de la stratégie de la firme.
Eric Labaye est membre du conseil d’école de Télécom ParisTech, de l’International Advisory board de l’Essec et du comité stratégique de l’Ecole d’affaires publiques de Sciences Po Paris. Il a été membre de la Commission pour la Libération de la croissance française (Commission Attali) et de la Commission économique de la Nation.
Une nomination contestée
Que reproche-ton dans ce contexte à la nomination du dirigeant de McKinsey ?
1. Un processus de nomination (par le Ministère des Armées) peu habituel. La nomination de l’ancien dirigeant de McKinsey est intervenue à l’issue d’une chasse de tête certes peu courante pour ce type de nomination, menée par le cabinet Hudson, aidé de HRM. Quatre candidats figuraient dans la short list établie par le comité de sélection. Outre Eric Labaye, trois autres candidats postulaient à la présidence de l’école : Jacques Biot, l’actuel président, mais qui serait atteint par la limite d’âge avant la fin du mandat, Pascal Faure, directeur général des entreprises au ministère de l’économie, et Thomas Grenon, ancien dirigeant du Muséum d’histoire naturelle. Pour autant le processus de sélection a été strictement respecté. L’ancien de McKinsey faisait partie du dernier carré de candidats retenus par le comité de sélection où siègent des représentants de l’Etat, mais aussi Denis Ranque, ancien président de Thalès, Bruno Angles, président du Crédit Suisse France ou encore Jean-Lou Chameau, président émérite de Caltech, chargé récemment par le gouvernement d’une mission de coordination des écoles d’ingénieurs du plateau de Saclay, autour de Polytechnique. 2. Le procès en compétence d’un « homme du privé » Il n’est pas utile de mentionner que certains opposants voient la raison de cette nomination dans l’appartenance d’Éric Labaye à la commission Attali dont le rapporteur était un certain Emmanuel Macron. Certains élèves, anciens élèves ou enseignants s’opposent à l’arrivée d’un « manager sans expérience dans la recherche et l’enseignement supérieur », au « profil de gestionnaire », à la tête de leur école. « Alors que tous les établissements de renommée internationale, de l’EPFL [Ecole polytechnique fédérale de Lausanne] à Harvard, sont gouvernés par des personnalités à la stature académique reconnue ». Derrière cette critique se cache celle d’appartenir au monde du privé et des affaires, loin de la présumée « pureté académique ». Elle se cristallise autour de la question de la rémunération. La nomination aurait tardé du fait « d’ajustement salariaux » (de l’ordre de 30% selon la rumeur). |
L’installation manquée de McKinsey sur le site de l’Université Libre de Bruxelles
Autre affaire, autre symptôme de la suspicion envers McKinsey, cette polémique en 2016 autour d’un projet de partenariat immobilier public privé entre l’Université Libre de Bruxelles (ULB – Belgique) et McKinsey.
La fronde des représentants des étudiants au conseil d’administration accuse la firme McKinsey d’entrisme dans le milieu éducatif et universitaire belge. Cette crise, largement médiatisée, a conduit à l’arrêt du projet en janvier 2017. McKinsey aurait implanté ses bureaux sur le campus et se serait engager à financer partiellement la construction de ces nouveaux bureaux en y prenant des surfaces en location pour 20 ans. Au terme de cette période, l’Université Libre de Belgique aurait récupéré l’intégrale propriété du bâtiment. Ce projet aurait également encouragé les coopérations entre la firme et l’Université Libre de Belgique (forum campus, stages, dons ou récompenses, missions pro bono …). Certains étudiants de l’Université Libre de Belgique réunis dans L’Atelier des chercheurs pour une désexcellence des universités accusent. Selon les dénonciateurs du projet « trois mobiles – au moins – apparaissent en toute clarté : 1. Se donner une base de recrutement privilégiée. 2. Se donner une tête de pont dans la capitale de l’Europe pour tirer profit du développement de « l’économie du savoir et de la connaissance ». 3. Se donner un titre supplémentaire de légitimité académique et scientifique. » Nous reviendrons sur ces différents entre les Ecoles et McKinsey, symbole de tout l’univers du conseil et du métier de consultant. On peut d’ores et déjà constater que ces procès font l’impasse sur un juste retour des choses : James Oscar McKinsey était un homme issu du sérail de l’Université américaine et qui a su développer une vraie doctrine de développement de l’entreprise et, plus tard, des organisations publiques. |
McKinsey et l’Université
McKinsey est aujourd’hui, la plus fameuse des marques conseil et une firme leader du conseil en stratégie, réalisant 7,6 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2016, avec 120 bureaux dans le monde et 14.000 salariés, sous la direction de Dominic Barton,
A l’origine de cette aventure : un homme, James Oscar McKinsey (1889 – 1937), issu de l’Université et qui aimait enseigner. Fondateur de la firme en 1926, il inventa un métier, celui de conseil, mais il s’était longtemps destiné à l’université. Il fut étudiant et professeur à l’Université de Chicago (où il décrocha en 1918 un diplôme de comptabilité, puis devint professeur au début des années 1920). Il fréquenta aussi Saint-Louis Université, l’Université du Kansas et appartint au Warrensburg Teachers College. Il publia plusieurs ouvrages « Budgetary Control», en 1922 et « Managerial Accounting», en 1924. Pour lui « la comptabilité constitue un outil de premier ordre pour comprendre la stratégie d’une entreprise, identifier ses forces et ses faiblesses et, à partir de ces constats de départ, repenser son organisation et son modèle de développement. En bref, un véritable outil de management. L’idée, certes, n’est pas tout à fait nouvelle : depuis la création de son MBA en 1908, le premier au monde, l’université d’Harvard apprend à ses étudiants à faire de la finance et du contrôle de gestion un outil stratégique à part entière ». « En 1926, convaincu que cette approche peut être utile aux entreprises américaines, James McKinsey crée sa firme de conseil tout en continuant à donner des cours à l’université de Chicago. James O. McKinsey et Compagnie, ingénieurs en comptabilité et management : tel est le nom de l’entreprise qui, suivant les usages de l’époque, préfère le terme « ingénieur » à celui, né bien plus tard, de « consultant ». « Mais le jeune universitaire va plus loin. Dès cette époque, il pose dans ses écrits les bases du futur « General Survey Outline » de McKinsey, cette « feuille de route » destinée aux consultants et qui doit leur permettre d’appréhender la situation d’une entreprise dans sa totalité, de l’organisation aux finances en passant par l’achat et les ventes, la place sur le marché, l’état de la concurrence ou la situation du personnel. Une méthode directement issue de ses travaux universitaires. » « McKinsey entend se rattacher à la tradition de l’organisation scientifique du travail, avec une idée forte : « la certitude que l’analyse méticuleuse de données quantitatives pouvait améliorer la gestion et le développement stratégique d’organisations complexes en leur apportant une vision plus claire de la réalité. » Il est également persuadé que pour créer le changement dans les entreprises, il faut atteindre les dirigeants et être conseil de direction. » Mais au-delà de l’histoire de son fondateur et de ses racines, qui on l’a vu sont universitaires (même si l’observation de la guerre et de la vie des entreprises ont joué un rôle important dans la constitution de sa « doctrine » et en tout cas de sa méthodologie), reprenons les critiques adressées à la firme McKinsey aujourd’hui (dans la seconde partie de cet article : Mandarins contre gourous 2/2 Des systèmes de pensée qui s’opposent. Cette défiance vis-à-vis de McKinsey – qui inventa le métier de consultant et investit depuis toujours de manière importante sur ce que l’on n’appelait pas encore « le capital intellectuel » – illustre le fossé souvent observé entre la pensée du monde académique (Université, Grande Ecole comme Polytechnique) et celles du conseil. Elle dépasse les limites de ce grand conseil en stratégie pour viser l’ensemble du conseil et de ses acteurs taxés d’être des outils d’une « mondialisation heureuse. » |
Un associé de McKinsey à la tête de Polytechnique Les Echos, Marie-Christine, le 03 août 2018 https://www.lesechos.fr/03/08/2018/lesechos.fr/0302072152720_un-associe-de-mckinsey-a-la-tete-de-polytechnique.html
La succession à la tête de Polytechnique suscite des critiques ? Le Monde, Camille Stromboni, le 13 juillet 2018
https://www.lemonde.fr/campus/article/2018/07/13/la-succession-a-la-tete-de-polytechnique-suscite-des-critiques_5330874_4401467.html
Polytechnique va recruter son président chez McKinsey, Challenges, Kira Mitrofanoff le 28 juin 2018 https://www.challenges.fr/education/le-nouveau-president-de-polytechnique-vient-de-chez-mckinsey_597589
McKinsey à l’ULB : le mobile d’une firme multinationale de la consultance ne peut-il être qu’immobilier ? L’Atelier des chercheurs pour une désexcellence des universités, www.lac.ulb.ac.be 24 juin 2016
http://lac.ulb.ac.be/LAC/No_McKinsey_files/LAC_McKinsey-a-l-ULB_24-11-16.pdf
McKinsey sur un campus bruxellois : la polémique n’en finit pas d’enfler Consultor, Brèves, 24 janvier 2017 https://www.consultor.fr/devenir-consultant/breves/4718-mckinsey-sur-un-campus-bruxellois-la-polemique-n-en-finit-plus-d-enfler.html
The McKinsey Mind: Understanding and Implementing the Problem-Solving Tools and Management Techniques of the World’s Top Strategic Consulting Firm 1 octobre 2001, Ethan M. Rasiel et Paul N. Friga.
James McKinsey, l’homme qui murmurait aux oreilles des patrons, Les Echos, Tristan Gaston-Breton, le 1er novembre 2016
https://www.lesechos.fr/01/08/2016/LesEchos/22245-037-ECH_james-mckinsey–l-homme-qui-murmurait-aux-oreilles-des-patrons.htm