Qu’est-ce qu’un open space
- Les bureaux ouverts, façon « cathédrale ou hall de gare » : formes d’open space les plus anciennes, et de conception taylorienne, sur le modèle de la salle de classe, avec typiquement un « chef » ou un surveillant installé sur une estrade.
- Les bureaux paysagers : les salariés peuvent personnaliser leur espace de travail, l’espace est aménagé afin de faciliter la communication.
- Les bureaux en sharing ou bureaux virtuels (moins en vogue ?) où les bureaux totalement dépersonnalisés sont disponibles sur réservation.
4. Les bureaux semi-cloisonnés : formes d’open space les plus récentes (l’open space « intelligent ?), fractionnées et cloisonnées, mais ponctuées d’espaces plus vastes où il est possible de s’isoler ou de se réunir à quelques-uns
Un peu d’histoire
Dès la fin du XIXe et au début du XXe siècle, les services administratifs sont installés dans d’immenses espaces organisés sur le modèle de la salle de classe, comme le Larkin Building, un immeuble conçu dès 1904 par l’architecte Frank Lloyd Wright à Buffalo. « On cherche alors la rentabilité foncière par la densification des parcelles urbaines et des postes de travail » analyse Thérèse Evette, sociologue, cofondatrice du Laboratoire Espaces travail de l’Ecole nationale supérieure d’architecture de Paris-La Villette l’ENSAPLV).
Des débuts plus tardifs en Europe : les frères Eberhard et Wolfgang Schnelle.
Le concept a été établi dans les années 1950 par deux consultants allemands, les frères Eberhard et Wolfgang Schnelle. Il visait à donner une vue d’ensemble, ouvrir l’esprit de ceux qui travaillent, faciliter la communication entre un nombre restreint de personnes. Soulignons que ces consultants sont aussi à l’origine de Métaplan, méthode bien connue des consultants de facilitation et de résolution de problèmes.
Pendant des décennies, la France reste à l’écart de ce mouvement.
La raison : « Il y a une dimension sociale très forte entre l’espace de travail et l’employé, un lien quasi ombilical qui fait que, notamment en France, contrairement aux pays anglo-saxons, une personne est toujours physiquement égale à l’existence d’un poste de travail. Ceci est très fortement lié à la notion de statut »,
Il faut attendre les années 1970 pour que la France construise les premières tours de bureaux, les années 2000 pour qu’elle adopte le modèle américain du bâtiment « épais » – plus de 15 mètres de profondeur – qui ne laisse guère le choix aux aménageurs : pour que tous les salariés bénéficient de la lumière naturelle, il faut créer de vastes espaces dépourvus de cloisons.
L’open space s’est largement imposé dans les entreprises françaises. Suivant une enquête réalisée en 2011 par TNS-Sofres pour l’Observatoire de la qualité de vie au bureau (Actineo) :
- 40 % des employés disposent désormais d’un bureau individuel.
- 40 % travaillent à deux ou trois dans un espace
- 14 % sur des plateaux ouverts à quatre ou plus.
Des précurseurs
« Bureau du XXIème siècle, le George-V est sans doute l’un des immeubles les plus efficaces du monde. Le ratio global d’utilisation de surface est de 5m / personne, là où les autres cabinets de conseil ou d’audit sont à 10m / personne et les autres sociétés entre 15 et 20m /personne.
Des objectifs économiques donc, pour prendre en compte que les consultants passent au moins 50 % de leur temps hors de leur bureau, mais aussi une remise en cause des attributs de la hiérarchie : les bureaux d’angle prestigieux disparaissent et chacun, même les associés, doit travailler sous le regard de l’autre.
Et maintenant Facebook
Le 30 mars 2015, Facebook a emménagé dans un nouveau bâtiment à Menlo Park en Californie. Selon les propos de Mark Zuckerberg lui-même, l’objectif est de créer l’espace technique parfait pour favoriser le travail collaboratif des équipes. L’espace doit créer le même sentiment de communauté et de connexion entre les équipes que le réseau social. L’idée est que l’on se sente dans l’espace comme dans un « work in progress ».
L’enfer est pavé de bonnes intentions
Les spécialistes parlent de « rendement-moquette » : selon Alain d’Iribarne, la taille moyenne d’un poste de travail est passée de 25 m2, dans les années 1970, à 15 m2 aujourd’hui.
En outre l’open space est entièrement modulaire. Il fabrique « de vraies machines à flexibilité » car il est très facile à aménager et les espaces de travail standardisés passent facilement d’un utilisateur ou d’une entreprise à un autre.
Les autres objectifs de l’open space
Les bonnes intentions ne manquent pas :
- favoriser la transparence, la communication et la circulation de l’information,
- développer les échanges informels,
- favoriser le travail collaboratif et la synergie de groupe,
- améliorer le bien-être des salariés, surtout si l’espace est rythmé avec des salles de réunions, des lieux de détente,
- réduire les barrières hiérarchiques.
« L’open space m’a tuer »
Selon l’enquête TNS-Sofres pour Actineo, l’open space serait en effet plus difficile à vivre que le bureau individuel.
- 63 % des salariés évoluant dans un open space se déclarent satisfaits de leur espace de travail,
- contre 90 % des salariés en bureau individuel.
En les réunissant sur un même plateau sans se soucier de ce qu’ils font vraiment, on gomme les spécificités du travail de chacun. « On crée des aménagements sans se demander comment ils influeront sur le système de relations sociales et professionnelles ».
Des nuisances quotidiennes
En 2011, 55 % des salariés en bureaux paysagers disaient être gênés par leurs collègues.
Sont le plus souvent mis en cause :
- le bruit ambiant (notamment lié aux échanges téléphoniques),
- des problèmes de température (chauffage/climatisation),
- un manque de place,
- un mauvais éclairage,
- une absence de confidentialité.
L’open space est globalement dénoncé comme une source de perturbation, fatigue et de stress qui affecte la performance des salariés
Aucune preuve scientifique
Si les managers estiment que les open space augmentent les échanges professionnels, la plupart des chercheurs disent le contraire. Citant des études américaines, Thérèse Evette, explique que « dans les grands espaces, la communication augmente certes en quantité mais baisse en qualité – elle donne lieu à des échanges qui sont professionnellement inutiles et qui finissent par déranger les salariés ».
En revanche les témoignages et les preuves scientifiques sont nombreux concernant le caractère pathogène des « open space ». Les niveaux de stress y seraient plus élevés qu’ailleurs et les niveaux de concentration et de motivation les plus bas. Le bruit paraît être le facteur le plus important dans ces observations.
Le management du 3ème type
L’open space est le symbole et l’outil d’un nouveau modèle managérial, un management de troisième génération :
1) Le recul de l’intimité et la représentation permanente
La question de la disparition des objets personnels sur le bureau – photo de famille, décoration, « grigri » n’est que la partie émergée de l’iceberg.
Comme le souligne avec humour les jeunes auteurs de « l’Open space m’a tuer » Alexandre des Isnards et Thomas Zuber, consultants tous les deux : « En open space, les consultants doivent vivre à visage et écran ouverts. Tout le monde peut passer vérifier si vous êtes heureux, si vous dormez, soupirez, riez… ».
Chacun a besoin d’un peu d’ombre, d’un peu d’intimité, d’un peu de quant-à-soi. Il faut, dans une journée de travail, pouvoir, de temps en temps, prendre de la distance, souffler, adopter une autre posture, se « distraire » de son travail.
Dans un open space, c’est quasiment impossible. Il faut au contraire adopter des comportements de façade et revêtir les habits du salarié modèle. Ce contrôle de soi épuise les salariés et nourrit leur stress, même s’il existe des solutions de compensation : navigation personnelle sur internet ou les réseaux sociaux … Et au contrôle de soi s’ajoute le contrôle par les autres.
2) La fabrique du contrôle social et la course à la performance
Au contrôle de soi pour incarner le bon salarié s’ajoute un double contrôle par le management et par les collègues dans un espace aménagé afin de permettre la surveillance. Le contrôle visuel induit par l’open space est plus pesant encore que les difficultés de voisinage.
Le contrôle du manager
La sociologue Thérèse Févette indique que « l’ «open space» est à la fois l’aménagement le plus prisé des manageurs et le plus contesté par les employés ».
L’un des arguments souvent invoqué en faveur de l’open space est la proximité avec le management, voire l’écrasement des lignes hiérarchiques.
Le manager se trouvant, avec les autres salariés, dans l’open space est forcément plus exposé, même si en se montrant exemplaire, il pourra gagner en légitimité.
Mais les salariés retiennent surtout que le manager pourra exercer un contrôle continu et alimenter une course permanente à la performance, en mettant les uns et les autres en compétition (sur les horaires, l’intensité réelle ou supposée du travail, le leadership sur le groupe, …).
Il pourra féliciter, récompenser ou sanctionner les uns et les autres « en public » et « à chaud » sans possibilité d’échange, d’explication ou de justification
Le contrôle plus insidieux des collègues de travail
Il y a là aussi un fort sentiment de surveillance. Les salariés se sentent épiés constamment. Ils doivent en apparence apparaître surbookés. Ainsi, par exemple, certains n’oseront pas quitter le bureau les premiers, ils vont donc tous rester tard le soir.
Chacun se surveille, écoute les conversations des autres. L’observation, la norme sociale, s’exerce souvent sous forme de «cancans», de rumeurs. Elle est très présente dans l’entreprise et accentuée par l’open space.
La surveillance de chacun par chacun (et non plus seulement des surveillés par le surveillant) pourrait créer un relatif égalitarisme. En fait, il y a une mise en concurrence – volontaire ou involontaire – des salariés.
Si cette concurrence n’existe pas et si des alliances se nouent, les salariés sont souvent changés de place et continueront à subir les mêmes contraintes.
3) Nous sommes tous des « Homo interruptus »
Dans l’open space, on l’a dit il n’y a ni intimité ni tranquillité. Or cette tranquillité/continuité est l’une des conditions sine qua non de la performance.
Selon une étude OpinionWay de mars 2015, 87 % des directeurs administratifs et financiers évoquent comme première situation stressante « les interruptions numériques intempestives pendant que l’on est en train d’effectuer une tâche ».
« Travailler est donc désormais devenu l’art de déployer en permanence une stratégie d’adaptation à l’interruption, interruption subie et interruption créée. »
Au lieu d’amplifier le phénomène d’interruption, il est impératif que l’espace de travail le minimise.
Il faut donc sans remettre en cause l’open space, ce qui paraît utopique aujourd’hui, réinventer l’espace de travail (l’open space intelligent) et créer les conditions de bien-être au travail et donc de performance de l’Homo Interruptus.
Concentration : permettre des moments, seul ou à plusieurs, sans écran et sans téléphone, pour réfléchir et travailler « sur le fond » et sans interruption.
Collaboration : une zone de travail commune à géométrie variable (en binôme, en mode projet, en réunion d’équipe ou avec le client).
Ressourcement : un espace plus ludique, pensé comme un lieu de vie pour faire une pause ou privilégier les échanges informels avec ou sans tasse de café ou babyfoot …
L’exigence en ce domaine des « digital native », Génération X ou Y sera de plus en plus forte.
L’open space reste un bouc émissaire commode qui dissimule souvent un modèle managérial à faire évoluer : contrôle permanent, course effrénée à la performance, manque de reconnaissance des individus et de leur mode de fonctionnement, possibilités d’évolution professionnelles limitées…
Bibliographie
L’Open Space m’a tuer Alexandre des Isnards et Thomas Zuber
1ère édition 2008, Editions Hachette Littératures, ISBN-10: 2012374085, 216 p
Chronique de Philippe- Georges Dabon, Auteur du livre Le tabou du stress au travail et de La méthode pour s’en sortir afin de rester en bonne santé, 07/06/15 11:52
http://www.journaldunet.com/account/philippe-georges-dabon-15127
L’Homo Interruptus et l’open space, Jérôme Malet / président de quadrilatère | le 28/05 à 15:5
Dans la cage de l’open space, Anne Chemin, le Monde culture et idées | 23.10.2012 à 12h38
Divers articles Alain d’Iribarne, Directeur de recherches au CNRS, Président du Conseil scientifique
ACTINEO, Observatoire de la Qualité de vie au bureau http://www.actineo.fr/
Pour citer cet article
https://www.scolaconsult.fr/l-open-space-un-management-du-3eme-type/
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[…] tout simplement le bruit, écrit l’auteur, qui serait la cause principale de ces problèmes. L’ Open space, un management du 3ème type – Scolaconsult. L’open space n’est pas un simple mode d’agencement des lieux mais un autre modèle […]
[…] Réalisée dans 17 pays auprès d’organisations de plus de 100 salariés, l’étude compte 12 480 participants. Elle analyse des habitudes de travail dans des pays aussi différents que la France, les Emirats arabes unis, la Chine ou la Pologne. Comme l’explique Catherine Gall, directrice de la cellule de Recherche & Prospective Steelcase Workspace Futures, « Les facteurs du désengagement sont bien sûr multiples et complexes. L’ étude s’est attachée à analyser précisément l’un d’entre eux : l’ espace de travail. L’engagement des salariés est une question essentielle. 1. 2. 3. 4. 5. Sur le même thème. L’ Open space, un management du 3ème type – Scolaconsult. […]