Taylor avec l’organisation scientifique du travail (OST) est le pionnier des consultants et du métier alors appelé ingénieur conseil. D’actualité, enrichi ou remis en cause, le taylorisme fait partie de la boite à méthodes du consulting. Le Lean management traque la « non-valeur ajoutée ».
Frederick William Taylor
Son expérience est acquise sur le terrain. Orienté vers la mécanique, il fait, de 1874 à 1878, un apprentissage d’ouvrier modeleur à Philadelphie. Embauché en 1878 par une aciérie, la Midvale Steel Co., il va gravir les échelons : d’abord simple manœuvre, puis chef d’atelier, il devient finalement, en 1884, ingénieur en chef, après avoir obtenu son diplôme en suivant des cours du soir.
En 1890, il part travailler comme consultant pendant trois ans pour la Bethlehem Iron Steel. Puis, il mène une brillante carrière de consultant indépendant (on parlait alors d’’ingénieur conseil), écrivant des articles et donnant de nombreuses conférences.
Il ne fait pourtant pas l’unanimité auprès de la communauté des ingénieurs conseil de l’American Society of Mechanical Engineers (ASME). En 1911 c’est à compte d’auteur qu’il publie le nouvel ouvrage qui résume ses thèses : The Principles of Scientific Management. L’ouvrage est traduit et publié en français dès 1912 sous le titre « La direction des ateliers ».
Taylor est fortement contesté par le monde du syndicalisme et doit même se défendre devant la Chambre des Représentants en 1912. Dès l’origine les syndicats se battent avec détermination contre le « travail en miettes » et la dépossession des ouvriers qualifiés de leur autonomie. Ils refusent que « l’ouvrier ne soit pas là pour penser, mais pour exécuter des gestes savamment calculés pour lui ». Et ils remportent des victoires : en 1915, après une grève dans l’arsenal de Watertown, près de Boston, le Congrès américain interdit le chronométrage et le salaire aux pièces dans les arsenaux militaires.
Mort en 1915, Taylor ne verra pas le succès de ses méthodes de management pour assurer l’effort de guerre. A noter que c’est durant la guerre et pour optimiser l’intendance que naît le conseil en productivité avec le cabinet Proudfoot (et par la suite ses nombreux spin off).
Cependant, dès avril 1913, l’industriel Henry Ford s’inspire des travaux de Taylor pour les combiner avec le principe de la chaine de travail qu’il découvre, lors d’une visite aux abattoirs de Chicago et promeut avec le succès que l’on sait.
Contrairement à ce que l’on croit souvent, Taylor n’est pas l’inventeur du travail à la chaîne qui existait depuis longtemps mais a été systématisé et théorisé par Ford. C’est Taylor en revanche qui a fondé une nouvelle approche du management.
Taylor et l’organisation scientifique du travail OST
Première règle : une division verticale du travail, c’est-à-dire :
- Une stricte séparation entre la conception des tâches par les ingénieurs et leur exécution par les ouvriers.
- Un niveau d’exigence accru vis-à-vis du management qui doit se centrer sur la conception et plus sur l’exécution.
- Une formalisation des meilleures pratiques par le « bureau des méthodes ». C’est là en particulier que l’on reconnaît le rôle de consultant de Taylor.
Avant Taylor, les ouvriers possèdent un métier (un « tour de main ») et ont hérité de leurs ancêtres artisans la maîtrise de leur poste de travail. Ils conçoivent et régulent eux-mêmes leurs méthodes de travail, aucun ne devant dépasser la productivité de l’autre, ce qui se traduit par des « ententes » entre ouvriers et un climat de « flânerie systématique » qui entraîne une productivité globale médiocre.
Pour Taylor, le rôle de l’encadrement doit consister à indiquer aux employés la meilleure manière de réaliser une tâche, leur fournir les outils et formations appropriés, et leur délivrer des objectifs et incitations en vue d’atteindre la performance.
Seconde règle : une division horizontale du travail, soit une répartition optimale entre postes de travail, de façon à minimiser les doublons et les gisements de sous-performance.
Enfin une troisième règle moins connue : Taylor prône la répartition des gains de productivité entre l’ouvrier et la direction ou l’actionnaire. S’ils dépassent l’objectif fixé, les ouvriers sont mieux rémunérés ce que ne permet pas le système traditionnel de paiement à la pièce.
Taylor et le consulting
L’entre deux guerre verra le développement rapide d’une nouvelle population d’ingénieurs conseils, ancêtres des consultants d’aujourd’hui.
Ils sont soit de « grands serviteurs de l’État », du corps des Mines en France effectuant des missions de service public, soit des ingénieurs civils qui pratiquent, comme Taylor avant eux, des activités de conseil auprès des entreprises ou en indépendant.
L’idée maîtresse de Taylor – la base de sa pratique de consultant est de fonder le management et l’organisation sur une analyse du temps passé et de la décomposition des différentes phases du travail :
- chercher les gestes les plus efficaces (« the one best way) »,
- adapter les outils (et sans doute à notre époque les flux d’information),
- faire évoluer les comportements (ce dernier champ est développé par les consultants d’aujourd’hui).
Taylor étudiera ces questions pendant vingt-cinq ans, avec l’aide de collaborateurs comme Carl G. Barth, un excellent mathématicien, ou Henry L. Gantt, l’inventeur du diagramme de Gantt, un outil de planification des tâches, encore utilisé aujourd’hui dans le consulting, les Bureaux d’Etude et l’Ingénierie et toutes les méthodes de management de projet.
La méthode de Taylor est l’une des bases des méthodes consulting, même si de nombreuses autres approches sont venues la compléter, voire la contester.
De nombreux cabinets de consulting la mettent en œuvre ou l’intègrent à leur méthodologie :
- les conseils en performance opérationnelle (ou excellence opérationnelle dont l’enjeu est de dégager de la productivité opérationnelle tout en favorisant l’intégration du changement) ;
- certains conseils en management et organisation, qui peuvent l’intégrer aux démarches de conduite du changement et de transformation ;
- les cabinets conseil en stratégie qui sont particulièrement développés dans le manufacturing ;
- et plus globalement ceux qui pratiquent ou utilisent le Lean management.
Taylor et le Lean management
La méthode Lean (« maigre », il vaudrait mieux dire « juste ») cherche à identifier les « temps valeur ajoutée » dans un processus de fabrication ou de production.
Le concept de Lean management a vu le jour à la fin des années 80 au MIT. Deux chercheurs, James P. Womack, Daniel T. Jones et Daniel Roos. ont analysé la succes story du Toyota production System (TPS) et en ont tiré en 1993 un livre devenu depuis la bible du Lean management « Le Système qui va changer le monde «.
La préoccupation des acteurs et de leurs comportements est plus forte que dans le Taylorisme même si cette dimension est souvent contestée.
Le Lean management, « C’est la participation de l’ensemble des employés d’une entreprise à la lutte contre le gaspillage en chassant tout ce qui produit de la « non-valeur ajoutée ». « Cette précision est importante car c’est souvent à la « base » de la pyramide que l’on voit le mieux ce qui se passe ».
Le Lean est l’objet d’une double critique :
- Les opérateurs ne seraient pas ou pas assez acteurs de la démarche alors qu’ils sont aussi experts de l’activité, « les plus aptes à créer un environnement de travail efficace et confortable. ».
- Ce management « par les nombres » serait élaboré par des « planneurs », des experts ou des consultants qui imposent de nouveaux standards « campés sur leurs ordinateur et leurs algorithmes, comme vu d’avion, en plan, de manière abstraite » , décrit la sociologue du travail et des organisations Marie-Anne Dujarier dans « Le Management désincarné »
A noter : ce terme critique de « planneur » est un néologisme construit de toutes pièces par cette chercheur au Cnam-CNRS pour décrire ces « faiseurs et diffuseurs de dispositifs » chargés d’optimiser la performance d’implémenter des dispositifs standardisés (ERP, lean, kaizen…) et de « forcer » le changement.
A ces critiques, deux réponses :
- « A la philosophie de base, qui date des années 30, on peut tout à fait ajouter une dimension qui prenne en compte le dialogue social et les organisations représentatives des salariés et d’autres formes d’organisation interpersonnelle (« organisation plate », organisation fonctionnelle, stratégie des alliés entre les acteurs, réseaux…) C’est en effet le principal angle mort de la méthode Lean historique ».
- Les consultants sont moins fidèles à la lettre qu’à l’esprit du Lean. Ils ne pratiquent pas le lean “maigre” et ne se contentent pas de se focaliser (par exemple) sur l’amélioration du Taux de Rendement Synthétique (TRS).
Ils savent que rien ne sert de réduire les gaspillages si le système n’a pas été d’abord repensé en profondeur.
Si vous voulez en savoir plus sur le taylorisme
- Etudier comment plusieurs ouvriers habiles exécutent l’opération.
- Décomposer leurs gestes en mouvements élémentaires.
- Éliminer les mouvements inutiles.
- Décrire chaque mouvement élémentaire et enregistrer son temps.
- Ajouter un pourcentage adéquat aux temps enregistrés, afin de couvrir les inévitables retards.
- Ajouter un pourcentage pour les repos, étudier les intervalles auxquels ils doivent être accordés pour réduire la fatigue.
- Reconstituer les combinaisons des mouvements élémentaires les plus fréquents.
- Enregistrer le temps de ces groupes de mouvements et les classer.
- Élaborer des tables de temps et de mouvements élémentaires.
Si vous voulez en savoir plus sur le Lean Management
« Un détournement dans le sens où le lean que l’on applique aujourd’hui s’est progressivement écarté de la philosophie originale.
Muri, Mura et Muda
Pour preuve de cette dérive : la chasse aux « Muda » (c’est-à-dire la chasse aux gaspillages), est souvent citée comme étant l’objectif essentiel de la méthode, alors qu’elle n’en est que la troisième étape. «
On se focalise sur les Muda mais on oublie les deux premières étapes, à savoir le Muri et le Mura, explique Philippe Lorino. Le Muri consiste à créer un système de production efficace, et le Mura à créer des tampons, c’est-à-dire éviter les événements indésirables pour mettre ce système en sécurité. »
Le Muri consiste à créer un matelas de ressources, c’est-à-dire des dépenses qui servent à mettre le système dans une situation confortable, insensible aux aléas, dans lequel les opérateurs ont le temps de prendre du recul et de lancer des améliorations ».
Frédérick Winslow Taylor, La direction scientifique des entreprises
Frédérick Winslow Taylor The Principles of Scientific Management, 1911, à compte d’auteur, traduit en France en 1912 sous le titre La direction des ateliers, texte anglais intégral à retrouver sur Gutenberg www.gutenberg.org/dirs/etext04/pscmg10.txt
Frédérick Taylor, la révolution des ateliers, Tristan Gaston Breton, Les Echos, http://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/0211094933041-frederick-taylor-la-revolution-dans-les-ateliers-2016511.php
Auteurs et textes classiques de la théorie des organisations, de Laurent Bélanger et Jean Mercier, 2006, Presses de l’Université de Laval
The World’s Newest Profession, management consulting in the twentieth century de Christopher. D. Mckenna, 2006, Cambridge University press
Taylor et l’organisation scientifique du travail Marc Mousli, Alternatives Economiques n° 251 – octobre 2006
http://sspsd.u-strasbg.fr/IMG/pdf/Taylorisme_1.pdf
Matthieu Chaumet Ce qu’il faut savoir sur le Lean management, L’Express, 12/09/2011, mis à jour 28/03/2015
Frédéric Parisot Les détournements du Lean, Usine Nouvelle, Octobre 2014
Marie-Anne Dujarier « Le Management désincarné. Paris, La Découverte, coll. « Cahiers libres », 2015, p. 78-78.
http://www.cairn.info/revue-idees-economiques-et-sociales-2015-4-page-78.htm
Odile Henry, L’impossible professionnalisation du métier d’ingénieur-conseil (1880-1954), Le Mouvement Social 2006/1 (no 214) www.cairn.info/revue-le-mouvement-social-2006-1-page-37.htm.
Wikipédia : Frédérick Winslow Taylor, https://fr.wikipedia.org/wiki/Frederick_Winslow_Taylor
Wikipédia : Organisation scientifique du travail https://fr.wikipedia.org/wiki/Organisation_scientifique_du_travail
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