Le capitalisme de plateforme contractualise, externalise et contrôle à distance les services. Nouveau modèle, il remet en cause la division capital/travail. La firme est remplacée par le pouvoir des algorithmes et du marketing, avec des opportunités nouvelles mais une possible remise en cause du salariat.

Un nouveau modèle de service

Le capitalisme de plateforme remet en cause les modèles et théories économiques et sociales traditionnelles.

Il ne repose plus :

  • ni sur l’opposition capital/travail, d’abord théorisée par les théories marxistes et dominante dans le taylorisme et le néo-taylorisme et qui mettent la firme au centre de l’économie ;
  • ni sur des modèles d’entreprise plus récents fondés sur le capital humain et la gestion des compétences (entreprise apprenante, organisation flexible, matricielle…).

Le modèle du capitalisme de plateforme est un pur modèle d’intermédiation, qui coïncide avec une vision de l’entreprise comme simple « nœuds de contrats ».

Les plateformes opèrent dans une logique de complète externalisation de toutes les activités  productives. Elles fonctionnent comme des « organisations marché ».

Elles reposent sur :

  1. une structure centrale légère et flexible (la « fiction légale ») », support  du processus  de contrat ;
  2. un logiciel de mise en relation de données personnelles (développé en interne ou acheté sur le marché) qui alimente, organise et évalue des transactions marchandes entre offreurs et demandeurs ;
  3. des stratégies marketing avancées réputation de la marque, discours marketing avancé, affective computing (les « like »…), capitalisation sur les expériences individuelles, prédiction des préférences, personnalisation de l’interface, évaluation et notation par le client …

Un néocapitalisme

Les plateformes n’ont que très peu d’actifs.

C’est aux « travailleurs » de constituer et d’apporter le capital nécessaire à la réalisation du travail, quitte à supporter les risques associés. L’individu doit constituer et mobiliser un capital préalable (sous la forme d’un véhicule pour les VTC, d’un bien immobilier dans le cas dʼAirBnb) pour exercer son activité.

La rémunération de la plateforme se fait sous forme de commission (20 % par exemple sur Uber), liée à chaque connexion au logiciel, commission sur lequel les affiliés au réseau n’ont pas de marge de manœuvre. L’évaluation des clients et l’évaluation par le réseau entrent en ligne de compte dans la rémunération ou l’accès aux données et au réseau.

Le modèle n’est donc pas collaboratif mais repose sur l’asymétrie de pouvoir entre la plateforme et les individus divisés, séparés qui assurent la production.

La plateforme fonctionne sur une (fausse ?) indépendance hiérarchique mais sur une vraie  dépendance économique. Les travailleurs n’entretiennent pas un lien hiérarchique  mais  marchand  avec  l’apporteur  d’affaires. La reconnaissance de la subordination – contraire à l’esprit même du capitalisme de plateforme – est un enjeu des professionnels (qui disposent de peu de pouvoir ou de représentation collective) et un enjeu politique.

Opportunités et risques pour les « néo travailleurs »

Le capitalisme de plateforme peut permettre aux travailleurs (exclus de l’emploi, salariés, travailleurs à temps partiel, retraités, …) de :

  • rentrer sur le marché de l’emploi ou retrouver un emploi ;
  • démarrer une activité complémentaire en vue d’accroître leur revenu ;
  • exercer une pluriactivité – sur différentes plateformes (disparition totale ou partielle de l’employeur unique : (c’est notamment le cas pour les chauffeurs) ;
  • trouver des clients sans action commerciale volontaire (« l’organisation marché » met en relation l’offre et la demande ») ;
  • valoriser un patrimoine existant (exemple un logement RBN&B) ;
  • limiter ou lisser leur investissement initial (dans certain cas, comme la location d’un véhicule) ;
  • choisir leurs horaires ou temps de travail ;
  • faire l’apprentissage de l’indépendance ;
  • se former.
Le capitalisme de plateforme peut néanmoins avoir des effets importants sur le travail et sur l’emploi. On peut les résumer ainsi :

  • dépendance économique  et paupérisation ;
  • alternance contrainte des périodes de travail/non travail, du rythme de travail ;
  • pas de marge de manœuvre sur les rémunérations : commissions, forfait, à la pièce, à la réponse client ou hit (human intelligence tasks) comme sur la plateforme Amazon TurK, voire au clic (click workers)
  • effets pervers de la mauvaise notation des clients (déconnexion automatique totale ou momentanée du service de la plateforme) ;
  • évolution de la représentation du travail : dépersonnalisation, dévalorisation ;
  • porosité entre sphère prive et sphère professionnelle ;
  • intensification du rythme et du stress au travail ;
  • amplification des risques psychosociaux.

La fin du salariat ?

Au-delà de ces effets positifs ou négatifs, souvent caricaturés, le capitalisme de plateforme présente des effets ambivalents qui devront être analysés avec plus de recul et une question : « Est-ce la fin du salariat ? ».

Il est certain que la plateforme permet une souplesse  et une flexibilité accrues des formes d’emploi, sous de multiples statuts : indépendant, autoentrepreneur, free-lance, contrat de chantier…).

Le modèle économique de la plateforme repose par ailleurs sur la libre adhésion au réseau et l’absence du lien de subordination classique, entre employeur et travailleur.

Les débats et recours sont importants sur cette question du lien de subordination. A ce stade le législateur constate que le lien de subordination ne serait effectif (dans le cas d’un chauffeur VTC indépendant) que sous condition de :

  • clause d’exclusivité de la plateforme (pas le droit de conduire pour une autre plateforme, ni d’avoir une clientèle personnelle) ;
  • contraintes « exorbitantes » (horaires contraints, « pouvoir disciplinaire de la plateforme », à savoir, le fait d’en être déconnecté s’il n’acceptait pas la course dans un certain délai).

“Aujourd’hui, la frontière entre travail indépendant et salariat dans l’économie des services à la demande est en construction. Il incombe au juge d’interpréter les règles existantes. »

Pourtant l’opposition entre plateforme et salariat n’est sans doute pas aussi systématique que cela :

  1. la législation varie selon les pays ;
  2. la plateforme peut être un sas ou un lieu d’apprentissage et permettre aux individus d’accéder au salariat ou plus souvent au statut d’indépendant (on rencontre le cas chez les chauffeurs Uber) ;
  3. le collectif de travail peut se reconstituer formellement ou non (voir les revendications collectives chez Uber…).
Bibliographie

Bibliographie

Ubérisation, turc mécanique, économie à la demande : où va le capitalisme de plateforme ? Patrick Cingolani 26 août 2016 CEST http://theconversation.com/uberisation-turc-mecanique-economie-a-la-demande-ou-va-le-capitalisme-de-plateforme-64150

Retour vers le futur : quand le capitalisme de plate-forme nous renvoie au « domestic system » préindustriel par Aurélien Acquier, 3 septembre 2017, 22735 CEST http://theconversation.com/retour-vers-le-futur-quand-le-capitalisme-de-plate-forme-nous-r.

Imaginer l’avenir du travail – 4 types d’organisation du travail à l’horizon 2030, Salima Benhamou, 25 avril 2017

www.strategie.gouv.fr/…/dt_ _imaginer_lavenir_du_travail_quatre_types_dorganisati…

Eurofound (2009) Working conditions in the European Union : Work organisation, Antoine Valeyre et alii, février 2009

Un chauffeur VTC (LeCab) requalifié en salarié : quel impact pour le modèle Uber ? Par Mounia Van de Casteele  |  05/01/2017, www.latribune.fr › Entreprises & Finance › Services › Transport & Logistique

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