France Stratégie prévoit 4 formes d’organisation du travail en 2030 : organisation apprenante, plateforme apprenante virtuelle, super intérim et néo taylorisme.

Les organisations actuelles du travail

Avant de s’interroger sur les formes futures du travail, il est bon de revenir à la situation actuelle.

Créée en 1975, Eurofound, Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail, agence de l’Union européenne, a pour rôle de fournir des connaissances dans le domaine des politiques sociales et liées au travail.

Eurofound identifie 4 formes du travail aujourd’hui :

1.      l’organisation simple,

2.      l’organisation taylorienne,

3.      l’organisation apprenante,

4.      et l’organisation Lean

L’organisation simple concerne environ 16% de la population européenne actuelle.

Elle se caractérise par une faible autonomie des travailleurs, peu d’autocontrôle, une forte répétitivité des tâches, un faible contenu cognitif dans le travail et peu d’innovation organisationnelle.

On la retrouve principalement chez des employés du tertiaire et chez des ouvriers.

L’organisation taylorienne est présente dans environ 18% des emplois salariés en Europe.

Elle partage certains des  éléments de l’organisation simple, mais se caractérise  par :

  • une intervention forte de la hiérarchie,
  • un travail en équipe (sans autonomie en général)
  • et une rotation des tâches.

On la retrouve principalement dans le secteur industriel et chez les ouvriers et employés non qualifiés.

Il faut noter que 52% des emplois relèvent de ces 2 types d’organisation qui restent majoritaires.

Les organisations apprenantes concernent environ 37% des salariés européens.

Elles se caractérisent par :

  • peu de tâches répétitives et des tâches souvent polyvalentes,
  • des pratiques organisationnelle et managériale participatives (décentralisation, travail en équipe, enrichissement du travail…)
  • une forte autonomie procédurale, dans les méthodes et dans le rythme de travail,
  • un fort contenu cognitif (apprentissage au travail, résolution de problème, complexité …).

Les salariés participent à l’évaluation et la fixation des objectifs. La technologie est un moyen d’amélioration des process de production et de la qualité au travail.

On retrouve les organisations apprenantes notamment dans l’encadrement et chez les dirigeants et les professions intermédiaires, en majorité dans le secteur tertiaire, mais aussi dans l’industrie (qui intègre de plus en plus des éléments de service).

Les organisations Lean sont également associées à des pratiques et mode de travail « hautement performantes » et représentent 20% des salariés en Europe, essentiellement chez les ouvriers et employés qualifiés. Elles visent à améliorer en priorité les process de production.

On les distingue par :

  • un fort contenu cognitif du travail,
  • des équipes polyvalentes et multidisciplinaires,
  • une faible autonomie,
  • une diffusion importante des normes et outils de type management par la qualité et le juste à temps (zéro délai, zéro défaut, zéro gaspillage…

Les facteurs d’évolution

Ces modèles d’organisation sont prédominants aujourd’hui mais devraient évoluer sous l’influence de différents facteurs (voir schéma ci-dessous).

Les principaux facteurs d’évolution devraient être les suivants

  1.  l’instabilité de l’environnement économique,
  2. les évolutions sociales et sociétales,
  3. l’évolution des qualifications (encore à démontrer, les évolutions pouvant être contradictoires et générer un marché de l’emploi à deux vitesses, voire une paupérisation des emplois),
  4. les facteurs institutionnels (baisse de la syndicalisation, variation du temps de travail, évolution des statuts comme la remise en cause du CDD, …).

Parmi ces facteurs, l’un est particulièrement significatif : la numérisation de l’économie et du travail qui peut à la fois détruire des emplois actuels et en modifier ou créer de nouveaux (voir post précédent : la numérisation détruit des emplois : combien ?).  

On parle ainsi d’économie de plateforme dont l’ubérisation n’est qu’une variante mais qui désignent les emplois peu qualifiés de la « gig economy ». (voir ci-dessous).

Cette évolution (que l’on appelle aussi digitalisation) n’est que l’une des 4 pistes prospectives évoquées par France Stratégie.

Une organisation apprenante qui s’affirme

Sur la base de départ d’une organisation simple ou tayloriste, la nouvelle organisation apprenante est plus orientée sur l’individu, la montée en compétences (avec notamment la formation continue)  et la qualité de la relation au travail.

Elle se caractériserait par  les traits suivants :

  • intégration dans des équipes pluridisciplinaires,
  • revalorisation du rôle socioéconomique des professions peu qualifiées,
  • meilleure formation continue et possibilités de mobilité ascendante,
  • plus grande stabilité de l’emploi, même s’il prend différentes formes ou statuts (versus « petites boulots »)

Exemple : les services à la personne pourraient évoluer vers des qualifications plus importantes :

  • un travail moins isolé et répétitif,
  • une prise en charge multidisciplinaire,
  • fondée sur des outils et une architecture informationnelle participative et basée sur des données partagées « probantes « (evidence  based medicine).

La plateforme collaborative virtuelle

La numérisation (réseau, Big data, IA, open innovation, crowfunding, …) va avoir, on l’a dit, des effets importants sur le travail et sur l’emploi. On peut les résumer ainsi :

  • désacralisation du travail,
  • virtualisation et perte de relations sociales, isolement,
  • recul voire disparition du salariat et affaiblissement du lien de subordination classique,
  • pluriactivité et disparition totale ou partielle de l’employeur unique : la personne peut travailler sur de multiples plateformes,
  • augmentation du nombre de travailleurs indépendants,
  • flexibilité accrue des formes d’emploi (sous de multiples statuts – indépendant, autoentrepreneur, free-lance, contrat de chantier…),
  • nouvelle mesure de la charge de travail et des modalités de contrôle et de rémunération (« click-workers » rémunérés à la pièce ou hit (human intelligence tasks), voire au clic),
  • nouvelle forme d’évaluation : par les pairs, par son réseau, par ses clients,
  • évolution de la représentation du travail (dépersonnalisation, dévalorisation, éclatement du collectif de travail, choix d’opportunité, alternance des périodes de travail/non travail, …),
  • évolution du rôle de manager et remise en cause du management intermédiaire,
  • porosité entre sphère prive et sphère professionnelle,
  • intensification du rythme et du stress au travail,
  • amplification des risques psychosociaux.

Le « super » interim

Le super interim va au bout du modèle de la plateforme et en accentue les effets négatifs (risque d’apparition d’une nouvelle forme de prolétariat).

Ultra flexible, il pourrait se diffuser dans les secteurs qui fonctionnent par ajustement immédiat ou quasi immédiat entre l’offre et la demande  et connaissent  des pics de demande très courts.

On pourrait assister à la disparition du modèle d’employeur unique déjà fortement écorné (voir ci-dessus).

Les conséquences potentielles :

  • efficacité accrue du marché du travail (offre/demande) et augmentation du niveau d’activité,
  • flexibilisation massive du marché du travail,
  • diminution du travail au noir et pour une part du chômage et des revenus sociaux de substitution,
  • montée des inégalités entre « techno prolétariat » voué aux tâches à faible valeur ajoutée et répétitives et « techno élites », avec la présence nouvelle d’un risque également pour les professions intellectuelles dans leurs tâches répétitives (métiers du droit et du chiffre, …),
  • insécurité financière et dépendance économique totale à l’égard du client et/ou de la tête de réseau et de la plateforme (commission),
  • relation directe et évaluation entre le client, l’individu offreur de travail et le propriétaire du réseau ou de la plateforme,
  • disparition de l’entreprise classique, contrats ultracourts,
  • remise en cause des syndicats et du droit du travail et risque individuel accru (salariat et protection sociale, emploi stable, durée du travail, évolution au sein de l’entreprise, prise en charge des investissements ex véhicule pour les chauffeurs Uber  ..),
  • disparition du droit à la formation et de la valorisation des compétences et de l’expérience,
  • flexibilité de l’organisation du temps et du lieu de travail (domicile, entreprise, plateforme, …)
  • faible séparation entre sphère privée et sphère professionnelle,
  • risque d’intensification du rythme de travail et du stress (horaires partiels non choisi, horaires atypiques ou aléatoires non choisis, …)

Le néo taylorisme

On peut penser que le néo taylorisme a encore de beaux jours devant lui.

Les éléments du modèle taylorien revisité seraient  les suivants :

  • ajustement quasi instantané entre l’offre et la demande de travail sur un marché flexible,
  • flexibilisation du travail choisie ou subie (le plus souvent),
  • rémunération principale ou complément de revenu (chômeurs, retraités, …),
  • tâches à faible valeur ajoutée, micro tâches,
  • tâches périphériques (externalisables) des tâches, même intellectuelles exemple juridique),
  • reporting et contrôle des process virtuels (progiciels intégrés, communication de machines à machines, géolocalisation, algorithmes, …)
  • remise en cause de notions fondamentales : travail, compétences, rémunération, protection sociale,
  • aucune perspective d’évolution, disparition définitive de la notion de carrière,
  • fragmentation de la société entre une élite formée et  éduquée et des « prolétaires new age »,
  • débats non tranché sur l’usine du futur.

En conclusion

Les évolutions du monde du travail présentées par France Stratégie  sont prospectives et le modèle qui se dégagera sera sans doute un hybride de ceux qui ont été identifiés.

Quelques certitudes s’imposent néanmoins.

Le salariat et l’entreprise traditionnelle devront évoluer. Le modèle du salariat est mis en cause en tout ou partie.

Les technologies joueront un rôle clef sur l’évolution du travail, dans un mouvement de révolution continue. Les modèles d’entreprise et même les innovations seront de plus en plus vite menacés d’obsolescence.

Le monde du travail nécessitera une grande flexibilité des individus et des structures, de plus en plus orienté et contrainte par les technologies disponibles, qui modifieront à une vitesse accrue les usages, les process et les services.

Plusieurs des scénarios pointent un risque accru de précarisation des individus et de polarisation sociale, qui n’est pas écarté même s’il varie selon les pays et les cultures.

L’autonomie dans le temps et dans l’espace et la capacité à mobiliser et mettre en commun des savoirs complexes sont en ce sens primordiaux, quels que soient  le niveau de compétences acquises ou initiales et la nature de la profession.

Cette distinction devient structurante et l’emporte dès à présent sur les oppositions classiques (industrie/services, profession intellectuelle/d’exécution, modèle hiérarchique).

L’avenir nous dira quel sera le modèle de demain.

France Stratégie

France Stratégie, laboratoire d’idées public, est un organisme de concertation et de réflexion.

Son rôle est de proposer une vision stratégique pour la France, en expertisant les grands choix qui s’offrent au pays.

Son action repose sur quatre métiers :

  • Évaluer les politiques publiques, de façon indépendante et exemplaire.
  • Anticiper les évolutions de la société française, qu’elles relèvent de l’économie, du social, du développement durable ou des technologies et analyser les questions qu’elles posent à moyen terme, afin de préparer les conditions de la décision politique.
  • Débattre. France Stratégie a vocation à être une maison ouverte, dialoguant avec les partenaires sociaux, la société civile, les entreprises, la communauté des spécialistes et le monde universitaire.
  • Proposer des politiques/réformes/orientations au gouvernement, en mettant en lumière les arbitrages possibles, les expériences étrangères et les positions des acteurs.
  • France Stratégie joue la carte de la transversalité, en animant un réseau de sept organismes aux compétences spécialisées : le Conseil d’analyse économique (CAE), le Conseil d’orientation des retraites (COR), le Conseil d’orientation pour l’emploi (COE), le Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA), le Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (HCAAM), le Haut Conseil du financement de la protection sociale (HCFi-PS), et le Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII).

D’autres experts interviennent sur les évolutions de l’emploi XXXX

Bibliographie

Imaginer l’avenir du travail – 4 types d’organisation du travail à l’horizon 2030, Salima Benhamou, 25 avril 2017 http://www.strategie.gouv.fr/document-de-travail/imaginer-lavenir-travail-quatre-types-dorganisation-travail-lhorizon-2030

Eurofound (2009) Working conditions in the European Union : Work organisation, Antoine Valeyre et alii, février 2009

ANACT les mutations de l’emploi et du travail au cours des 50 dernières années, 11 octobre 2010

https://www.anact.fr/les-mutations-de-lemploi-et-du-travail-au-cours-des-50-dernieres-annees

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