Le numérique crée des emplois mais en détruit aussi, en France et dans le monde. Combien ? La moitié, 15%, 10 % ? Les experts, l’OCDE, le COE, France stratégie et les stratèges : Roland Berger ou Mc Kinsey ne sont pas d’accord sur des destructions massives. Mais leurs analyses du phénomène de transformation convergent.

Le numérique, l’IA et l’emploi

source : le devoir.com

« Les progrès réalisés dans le champ de la robotique et de l’intelligence artificielle (IA), l’essor de l’Internet des objets, le traitement des données de masse (big data) ou l’émergence de l’impression 3D alimentent aujourd’hui des inquiétudes autour d’un « futur sans emploi » (thèse de Jeremy Rifkin au début des années 80).

Le chômage technologique (la machine remplace l’homme) suscite une inquiétude des acteurs, même s’il n’est pas avéré, chez les « techno-pessimistes » et même les « techno-optimistes ».

Le débat porte sur l’ampleur et la vitesse des potentielles destructions d’emploi, non compensées par de nouveaux métiers. ». Les chercheurs parlent parfois de quatrième révolution industrielle.

Dans la littérature économique internationale et dans le monde des stratèges, depuis 2013, plusieurs études ont cherché à estimer la  part des emplois actuels qui pourraient être menacés de disparition du fait des nouvelles possibilités d’automatisation.

Toutes considèrent que les effets potentiels sur le volume de l’emploi seraient significatifs voire massifs, sans cependant s’accorder sur l’ampleur de ce risque ni sur son rythme.

On trouvera ci-dessous un résumé de leurs différents diagnostics et prévisions.

Au-delà de ces risques globaux, il serait utile d’en évaluer les impacts par secteur et par métier et les effets sur les modes d’organisation du travail et le management (passage de tâches de production à des tâches de surveillance, précariat, remise en cause du salariat, crowd work, microwork, … A lire : prochain article à paraître.

Note : les points de vue d’autres acteurs de l’emploi comme les syndicats salariés et patronaux ne sont pas étudiés ici en tant que tels. ils feront l’objet d’un autre article, sur la base par exemple des travaux réalisés par la CFDT (La numérisation quel impact sur les cadres).

OCDE : 9 % des emplois menacés par l’automatisation

Selon l’OCDE la numérisation et l’IA soulèvent des questions sur la capacité des technologies à remplacer les emplois, phénomène parfois appelé luddisme d’après Ludd qui théorisa la résistance des ouvriers textiles anglais lors de la première révolution industrielle.

Des évaluations basées sur l’évaluation des compétences des adultes (PIAAC) montrent que :

  • 9% des emplois en moyenne sur les pays de l’OCDE présentent un risque d’automatisation élevé ;
  • Pour 25 % des autres emplois, 50% des tâches seront considérablement transformées par l’automatisation ;
  • La France se trouve dans la moyenne de ces 9% (10% au Royaume Uni et 7% au Japon).

La numérisation réduit la demande de tâches manuelles et répétitives, quel que soit le niveau de compétences. Des tâches cognitives considérées comme non automatisables sont désormais à risque (marchés boursiers, professions du droit et du chiffre. …).

La polarisation de l’emploi se trouve entre emplois répétitifs et non répétitifs, qualifiés (forte demande de ces compétences) ou non qualifiées mais à forte compétence relationnelle (services à la personne…). Les emplois à forte qualification les plus recherchés  nécessitent de travailler sur la base d’informations nouvelles et impliquent des compétences interpersonnelles et la résolution de problèmes structurés.

Le risque de chômage technologique massif peut être écarté : toutes les tâches et compétences ne sont pas automatisable et de nouveaux emplois peuvent apparaître, notamment dans les nouvelles technologies où certains auteurs considèrent que chaque création d’emploi génère 5 autres emplois créés.

La numérisation et l’IA impliquent aussi de nouvelles formes d’organisation du travail et une nouvelle « économie de la demande » pour ajuster le marché du travail qui pose la question du salariat et plus globalement des droits du travail et de l’accès à la protection sociale.

COE : 10% des emplois à risque

L’étude du COE, Conseil d’orientation de l’Emploi, source : enquête DARES sur les conditions de travail montre que :

« moins de 10 % des emplois existants présentent un cumul de vulnérabilités susceptibles de menacer leur existence dans un contexte d’automatisation et de numérisation ;

Le chiffre de 50% des emplois n’est pas probable et sous-estime les transformations de l’emploi.

MAIS 50 %, la moitié des emplois existants sont susceptibles d’évoluer, dans leur contenu, de façon  significative à très importante.

Même si « Seule une faible part des emplois a un indice d’automatisation élevé », ces « moins de 10 % » représentent tout de même 1,49 million d’emplois, là où une extrapolation du pourcentage de l’OCDE à la population active aboutit à 2,6 millions.

Le progrès technologique continuerait à favoriser plutôt l’emploi qualifié et très qualifié : parmi les emplois susceptibles d’être vulnérables, les métiers surreprésentés, en volume ou au regard de leur part dans l’emploi total, sont souvent des métiers pas ou peu qualifiés.

Les métiers les plus vulnérables présentent les tâches manuelles et cognitives les plus routinières et les moins dépendantes d’une demande extérieure immédiate.

Dans les premiers emplois menacés, on retrouve les agents d’entretien (320.215), les ouvriers qualifiés des industries de process (95.545) ou encore les ouvriers non qualifiés de la manutention (86.000).

On prévoit une relative complexification des métiers existants en lien avec la diffusion de technologies nouvelles, marquée par un essor des compétences analytiques et relationnelles.

On assiste par exemple (en particulier pour les cadres) à une mobilisation généralisée des compétences transverses : gestion de projet, capacité à travailler au sein d’équipe pluridisciplinaire, capacité à développer un réseau ou à communiquer (avec des collègues ou des clients), bonne compréhension de la stratégie d’entreprise, prise en compte des enjeux commerciaux.

France Stratégie : 15% des emplois automatisables

Dans une note publiée en juillet 2016, France stratégie s’interrogeait sur le nombre d’emplois automatisables en France et dans le monde : 50 % ou 10% selon les thèses et remettait en cause leur caractère massif.

Les tenants des plus grands nombres – y compris Mc Kinsey et Roland Berger (voir ci-dessous) , ont développé des méthodologies qui s’inspirent des travaux  de Frey et Osborne de 2013.

Dans leur ouvrage The Future of Employment: How susceptible are jobs to computerisation ? ils prédisent une disparition de 50 % des Emplois (47% aux Etats Unis, 5% au Royaume Uni, 54% dans l’Union Européenne).

Selon France Stratégie, et le COE reprend cette critique, l’analyse majore le phénomène et ne prend pas en compte dans les 320 professions dites automatisables les interactions homme machine (travail en équipe, interaction avec le client, apprentissage complexe, …).

France Stratégie choisit d’évaluer :

  • d’une part les emplois automatisables CAD : dont le rythme de travail n’est pas imposé par une demande extérieure (client, public) exigeant une réponse immédiate et qui consistent à appliquer strictement des consignes  : 15 % des emplois soit 3,4 millions de personnes.
  • à l’inverse de ces critères les emplois plus ou moins qualifies a priori non automatisables  : 9,1%, soit environ 9,1 millions de personne (emplois en croissance de 33% dans les 15 dernières années).

Les métiers de l’industrie sont a priori plus automatisables  : 25% des emplois, quand les métiers de service, parce qu’ils sont plus souvent en interaction avec un client seraient à 13% automatisables. A noter : La France disposerait de 32000 robots industriels, soir la moitié de l’Allemagne, mais un emploi a priori automatisable n’est pas nécessairement automatisé.

Les métiers de la banque sont un cas d’école. La technologie (DAB, banque en ligne, paiement sans contact…) a modifié les besoins de main d’œuvre mais la nature des métiers s’est modifiée avec un recentrage sur les tâches les plus difficilement automatisables.

Ces tâches difficilement automatisables représenteraient (source déclarative, à vérifier) :

  • 61% chez les employés de la banque et de l’assurance,
  • 62 % chez les techniciens,
  • 48 % chez les cadres.

France Stratégie souligne par ailleurs que l’automatisation en varie pas seulement en fonction des progrès de la technologie mais doit également intégrer les modes d’organisation du travail, l’acceptabilité sociale et la rentabilité économique.

Roland Berger : 42 % des emplois menacés

Les conseils en stratégie sont plus alarmistes et se réfèrent implicitement aux analyses déjà citées The Future of Employment: How susceptible are jobs to computerisation ? de Frey et Osborne qui s’alarment de la disparition de la moitié des emplois. L’analyse à 10/15 ans (données INSEE, analyse par métier) ne semble pas tenir compte de la création ou transformation d’emploi.

Ces travaux ne présentent sans doute pas tout à fait les mêmes garanties que celles des organismes publics déjà cités. Ils relèvent de la logique du Livre Blanc aux autorités et ont également une vocation commerciale et d’alerte aux clients ou futurs clients qui doivent se transformer.

L’analyse du stratège Roland Berger montre que :

Trois grands types d’application de l’IA auront un impact sur le marché de l’emploi :

  1. l’informatique avancée ou décisionnelle (les « machines apprenantes »),
  2. les objets connectés,
  3. la robotique avancée.

42% des métiers sur le marché de l’emploi français

présentent une probabilité d’automatisation forte du fait de la numérisation de l’économie.

Pour la première fois, les métiers automatisables ne sont pas uniquement des métiers manuels. Des tâches intellectuelles de plus en plus nombreuses sont prises en charge par les outils numériques.

La frontière qui sépare les métiers à fort potentiel d’automatisation des autres ne recouvre plus la distinction « manuel/intellectuel », mais les tâches répétitives/non répétitives ou créatives.

3 millions d’emplois,

C’est le nombre d’emplois qui pourraient être détruits par la numérisation à l’horizon 2025. Une telle évolution déstabiliserait en profondeur les classes moyennes françaises, car de nombreux emplois de service seraient touchés.

Les emplois créés ne se substitueront pas aux emplois détruits ni en termes de niveau de compétence requis, ni en termes de position sur la chaîne de valeur, ni en termes de positions géographique.

Les créations d’emploi se développent dans 4 grands secteurs : l’environnement, la performance des entreprises, la relation client et les technologies elles-mêmes.

30 Mds€ de production de richesse (ces données demandent à être vérifiées et n’engagent que leurs auteurs)

La hausse de la productivité liée à la numérisation de l’économie pourrait générer 30 Mds€ de recettes publiques et environ 30 Mds€ d’investissement privé à condition que les pouvoirs publics français engagent une stratégie volontariste d’adaptation de la France aux défis posés par la révolution digitale.

Mc Kinsey : aucun secteur protégé

L’automatisation du monde du travail, cette « quatrième révolution industrielle » à la fois attendue et redoutée, ne se limitera pas au secteur manufacturier. Aux Etats Unis, elle a le potentiel de transformer à différents degrés pratiquement tous les secteurs de l’économie, à commencer par celui de la restauration et de l’hébergement, selon le rapport de McKinsey.Sector-Automation (clic sur le lien).

Les auteurs du rapport ont analysé quelque 2000 tâches associées à plus de 800 professions, essentiellement à partir des données du Bureau de la statistique du travail des États-Unis.

Le secteur de la restauration et de l’hébergement arrive en tête, avec un potentiel d’automatisation de 73 %. Cela signifie que près des trois quarts des tâches effectuées par les travailleurs de ce secteur pourraient être accomplies par des robots, estime McKinsey.

Sans surprise, le secteur manufacturier suit non loin derrière, les robots pouvant potentiellement exécuter quelque 59 % de ses tâches. On peut penser au travail de fabrication ou à celui exécuté sur les chaînes de montage.

Tous types de profession confondus, le tiers des tâches est associé à la collecte et l’analyse de données. Et plus de 60 % de ces tâches ont le potentiel d’être automatisées, souligne le rapport. C’est notamment le cas dans le secteur de la finance, où le taux de pénétration de la robotisation atteint 43 %.

L’automatisation n’épargne personne, mais certains professionnels ont moins de craintes à avoir pour l’avenir de leur métier, en raison de l’importance des relations interpersonnelles dans leur quotidien.

Le potentiel technique d’automatisation n’est que l’un des facteurs pouvant influencer la robotisation d’un secteur. Les entreprises doivent également tenir compte des coûts associés à l’automatisation, de l’importance des bénéfices potentiels et de l’acceptabilité sociale.

« La grande question sera de savoir où et comment profiter de l’automatisation, compte tenu des coûts liés au fait de remplacer un travailleur par une machine, écrivent les auteurs du rapport. La majorité des bénéfices ne proviendront sans doute pas de la réduction des coûts de main-d’œuvre, mais plutôt des gains de productivité grâce à une réduction du nombre d’erreurs et d’une augmentation de la qualité, de la sécurité et de la vitesse. »

La numérisation, une chance pour l’emploi ?

En résumé les analyses convergent sur un impact fort de la numérisation et de l’IA sur l’emploi mais les méthodes d’analyse et les convictions sont moins partagées.

Le point majeur à retenir pour nous est la différenciation croissante entre métiers de routine et répétitifs et les autres et leur beaucoup plus forte exposition au risque de disparition.

Faut-il considérer que les effets destructeurs du numérique l’emportent toujours sur ses effets créateurs ? sans doute non, on l’a vu.

Faut-il aller plus loin et considérer comme Dominique Turcq Président de l’Institut Boostzone http://www.boostzone.fr, institut de recherche collaborative que « Le rôle de l’homme change, non pas parce qu’il est remplacé par la machine, vision simpliste et taylorienne où, justement, on voulait faire de lui une machine effectuant des tâches mécaniques, mais parce qu’on peut désormais lui donner la machine comme assistant, l’enrichir et augmenter la quantité et la qualité des services offerts dans nos sociétés.

Là où le digital a jusqu’à présent surtout détruit des emplois par l’automatisation, l’IA va jouer plutôt en multiplication des emplois. Elle va permettre de créer un escalier mécanique ascendant pour les compétences. »

Bibliographie

 

Bibliographie

BCG Competing in the age of IA 16 janvier 2017  http://image-src.bcg.com/Images/

BCG-Competing-in-the-Age-of-Artificial-Intelligence-Jan-2017_tcm9-146381.pdf

Roland Berger Les classes moyennes face à la transformation digitale 2013 VF octobre 2014 https://www.rolandberger.com/publications/publication_pdf/

les_classes_moyennes_face_à la_transformation_digitale___roland_berger.pdf

COE Automatisation, numérisation et emploi http://www.coe.gouv.fr/IMG/pdf/COE_170110_Synthese_du_rapport_Automatisation_numerisation_et_emploi_

Tome_1.pdf

France stratégie Effet de l’automatisation sur l’emploi 19 juillet 2016 http://www.strategie.gouv.fr/publications/

leffet-de-lautomatisation-lemploi-quon-sait-quon-ignore

OCDE Automatisation et travail indépendant dans une économie numérique  Synthèse sur l’avenir du travail,

Artn, Gegoryet Zierhan2016 https://www.oecd.org/fr/els/emp/Automatisation-et-travail-ind%C3%A9pendant

-dans-une-%C3%A9conomie-num%C3%A9rique.pdf

The Future of Employment: Automatisation, jobs and the future of work How susceptible are jobs to

computerisation?, Frey C. B. et Osborne M. A.   Oxford Martin School, septembre 2013

Mc Kinsey La robotisation du travail n’épargnera à peu près personne http://www.ledevoir.com/economie/

actualites-economiques/475437/la-robotisation-du-travail-n-epargnera-a-peu-pres-personne

Dominique Turcq L’intelligence artificielle va créer des emplois https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/

cercle-166260-plus-demplois-grace-a-lintelligence-artificielle-2065159.php

La numérisation, quel impact sur les cadres ? parlons cadre, CFDT, n°63, novembre 2016

texte

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