Internet  offre un flux d’information sans limite mais parfois trompeur.Surabondance des données, développement des outils numériques, multiplication et « hybridation » des usages Nous restons démunis pour rechercher, trouver et évaluer une information fiable et pertinente.

Si vous n’avez que quelques minutes

Le brouillage numérique nous menace. La multiplication et la confusion des données, l’explosion et le changement permanent des outils (tablette, téléphone, …), bouleversent nos usages, toutes générations confondues.

Internet et les réseaux sociaux, l’ensemble des nouveaux outils numériques, nous ouvrent un champ d’information quasi infini. Nous sommes confrontés à cette surabondance, avec les risques « d’infopollution » qu’elle comporte : fausse information, information obsolète ou incomplète, information manipulée. Il reste difficile de rechercher et trouver une information fiable et pertinente.

Savoir identifier, sourcer, hiérarchiser, croiser et finalement évaluer une information est devenu de plus en plus complexe. Garder sa capacité de jugement et de discernement sur Internet est avant tout une affaire de culture, culture générale, culture technique ou expertise, culture numérique. C’est la condition du « talent » qui transformera la simple information en connaissances en savoirs et en compétences.

Discernement : commençons par une définition

Nom masculin
Sens premier :

  • action de mettre à part, de séparer des choses ou des personnes confondues.
  • action de discerner par la vue ou par un autre sens.

Par extension « Faculté qui est donnée à l’esprit ou qu’il a acquise par l’expérience, d’apprécier les choses selon leur nature et à leur juste valeur, d’en juger avec bon sens et clarté »

L’extension infinie de l’information et des savoirs

Internet, les réseaux sociaux et toutes les innovations numériques nous ouvrent un territoire infini que nous ne pourrons jamais maîtriser à échelle d’homme mais que nous pouvons tenter d’explorer et utiliser.

Dès les années 90, les chercheurs anticipaient que la mutation des technologies qui s’annonçait allait bouleverser le rapport au savoir.

« La perspective d’un vaste marché des compétences opérationnelles est ouverte. Les détenteurs de cette sorte de savoirs sont et seront l’objet d’offres, voire l’enjeu de politiques de séduction. De ce point de vue, ce n’est pas la fin du savoir qui s’annonce, bien au contraire. L’Encyclopédie de demain, ce sont les banques de données (on ajouterait aujourd’hui les algorithmes, le Big data …). Elles excèdent la capacité de chaque utilisateur. Elles sont la « nature » pour l’homme post-moderne » .

« Le brouillage numérique »

La multiplication des données, des supports et des usages liées à la généralisation d’Internet est une chance pour chacun d’entre nous et pour le collectif. Nous n’imaginons même plus comment « c’était avant ».

Cette explosion ne crée pas seulement une ressource nouvelle, elle transforme notre rapport à l’information, au savoir, à sa production, son partage et sa transmission.

« Un vaste espace collaboratif où le savoir est produit de façon interactive est né, où les limites entre le propre et l’emprunté, le niveau créatif et le niveau critique sont flottantes. Il est difficile aujourd’hui d’évaluer précisément ce qui autorise ce savoir (son origine est souvent incertaine) et ce qui le légitime. »

Multiplication des données

La page du livre était fixe. La page Web est un flux de données sur lequel on « navigue ». Elle est en permanente évolution et instabilité :

  • place fluctuante dans les moteurs de recherche,
  • possibilité d’actualisation permanente,
  • multiplicité des auteurs et des contributions : Wikis, forums, réseaux sociaux, plateformes de partage…

C’est ce « processus permanent de d’agrégation, de déconstruction, de recomposition des traces et des documents circulant sur les réseaux » qui rend parfois impossible de « rendre à César ce qui est à César » : retrouver l’origine d’un document, d’une image … La notion de propriété intellectuelle est fortement malmenée.

Cette surabondance nous expose à des risques « d’infopollution »:

  • information incomplète ou non vérifiée,
  • information obsolète,
  • fausse information,
  • information manipulée.

Multiplication des supports/médias

Le médium, on le sait depuis Mc Luhan « modifie le message ».

C’est d’autant plus vrai aujourd’hui alors que nous baignons dans un « continuum « de technologie, notamment depuis le smartphone et la tablette.

Ce sont de « véritables couteaux suisse de l’information ». on peut en toute simultanéité surfer sur Internet, consulter sa messagerie, son calendrier, son compte Twitter ou Face Book, ses alertes d’information, ses abonnements en ligne… Résultat l’information est un tout, on « ne sait plus où on a vu ça ».

Changement des usages

Les catégories d’usage traditionnelles sont aussi remises en cause :

  • public/privé,
  • particulier et professionnels,
  • amateur et savant ou expert,
  • ludique et informatif,
  • actualité et mémoire/histoire…

Comment dépasser ce flou, sans lui dénier ce qu’il a de créatif et d’irremplaçable, que personne aujourd’hui ne penserait à remettre en cause ?

Pouvons-nous réapprendre à mieux utiliser Internet pour construire ou consolider notre base de données et de connaissances et mettre en œuvre un véritable knowledge management ?

Les 4 compétences de l’information sur Internet

Selon Alexandre Serres, spécialiser de la communication et de l’information, qui a consacré de nombreuses recherches à la « culture informationnelle », « évaluer l’information sur Internet consiste à maîtriser 4 compétences de base :

  1. « Savoir identifier la source d’une information (son auteur, son éditeur »
    Moins évident qu’il n’y paraît au premier abord sans une culture générale du domaine (voir infra).
  2. « Savoir juger de la crédibilité d’une source, d’un auteur, d’une information »
    Il faut avoir une certaine connaissance du domaine concerné et de ses acteurs.
  3. « Savoir juger de la pertinence d’une source » par rapport à l’objet de la recherche, définie aussi précisément que possible en amont.Faute de cette expérience, l’on court le risque de se laisser « entraîner » dans sa recherche et de perdre la maîtrise de l’information. Même si la part de spontanéité, de « navigation plus ou moins aléatoire d’une page à l’autre par approfondissement et/ou association d’idées est aussi déterminante pour la réussite d’une recherche.
  4. « Savoir évaluer la qualité de l’information trouvée »
    Une compétence particulièrement complexe car elle implique connaissance du domaine et qualité du questionnement.

On peut difficilement se contenter d’une recherche :

  • sur un seul mot (penser à utiliser des expressions plus complètes, avec ou sans ? et « ») dans les requêtes ;
    sur la première réponse, fut-elle de Wikipédia.
    Souvent l’article Wikipédia permet de bien baliser un sujet et d’orienter une recherche complémentaire mais reste dépendante de la qualité et de l’intention (voire la thèse) du ou des auteurs et du niveau de consensus entre eux.
  • sur la ou les premières pages de réponse ;
  • sur un seul moteur de recherche ;
  • en une seule langue…

La « Charte qualité » de l’information de 2008 (2nde Assises du journalisme) donne les principaux critères de qualité de l’information : « l’honnêteté, le souci de la vérité des faits, le respect des personnes, le respect de la diversité des opinions, le refus de la manipulation des consciences, le refus de la corruption, le devoir de publier ce qui est d’intérêt public et, en toute circonstance, la culture du doute. »

A ces compétences de base s’ajoutent les 3 suivantes, un peu plus complexes :

  1. « Savoir confronter les sources, les points de vue d’acteurs sur le même sujet. »
    Cela suppose au préalable d’avoir une connaissance minimale ou d’être expert du domaine ou du sujet.
  2. « Savoir confronter les informations elles-mêmes. »
    Plus ou moins facile selon la nature de l’information, plus ou moins factuelle ou partagées (depuis le grand public jusqu’aux communautés d’experts).
  3. « Savoir évaluer la fiabilité et la pertinence d’une information. »
    Cette capacité est toujours relative. Elle est la base d’une démarche solide de knowledge management. Elle évalue notamment que l’information est « accessible, mise à jour, exacte, complète, vérifiable » etc…)

Mobiliser 4 cultures différentes

Pour être capable de gérer en situation ce « data finding ou mining » et le knowledge management qui en découle, nous devons mobiliser pas moins de 4 cultures différentes :

  1. La culture générale : la formation initiale, les savoirs de base, les repères généraux sur le monde d’aujourd’hui et dans une perspective historique.
  2. Les cultures disciplinaires et métier (depuis le néophyte jusqu’à l’expert du domaine).
  3. La culture des médias – traditionnels ou sociaux – (leurs sources, leur ligne éditoriale, leur fonctionnement et leurs enjeux).
  4. La culture numérique (qui ne se confond pas avec la culture informatique) : l’ensemble des connaissances théoriques et en majorité pratiques, portant sur les usages, les outils et les applications d’Internet et des réseaux sociaux. «

Cette culture en grande majorité intuitive, est plastique et fortement évolutive dans le temps, à des rythmes très supérieurs à ceux observés sur les autres formes de culture. Elle est également fragmentée suivant les usages et les générations et les « tribus » qui l’utilisent.

La remise en cause des sachants et des experts

Un excellent article des Echos a récemment résumé la démocratisation des savoirs, nouvelle donne du knowledge management et la nécessité de « faire du lien » entre toutes les informations plus ou moins disponibles et de construire son propre système d’intelligence personnel.

« Le savoir accessible à tous ébranle la posture haute du mandarin et plus globalement la légitimité » des institutions. » La démocratisation de l’information se traduit aujourd’hui par la remise en cause des détenteurs et des lieux traditionnels des savoirs (experts, chercheurs, knowledge managers, communautés savantes, dans les universités, musées, ou bibliothèques et même les entreprises…).

Les modes d’apprentissage s’en trouvent potentiellement bouleversés. Les MOOC (« massive open online courses »), tutoriels, e-learning… entrent en concurrence avec les enseignements traditionnaux. la révolution de l’apprentissage est en marche.

L’identification dans les organisations de fonctions dédiées au stockage, à la recherche et l’enrichissement de l’information (fonction d’analyste de données, fonction knowledge management en particulier) ne dispense pas de l’effort de se constituer une expérience et un filtre personnels face à la multiplicité de l’information.

« Le vrai moteur dans l’économie numérique, c’est la personnalisation et la multitude » comme le souligne le Think Tank Terra Nova.

Cette certitude permet seule de « se différencier dans ce monde où la connaissance est ouverte à tous les vents et où les compétences prétendent s’acquérir en un seul clic. Ce défi concerne les entreprises autant que les individus. La clef est ce qui ne peut ni s’apprendre, ni se construire, ni se stocker sur Internet, à savoir l‘expérience personnelle et le talent. »

Bibliographie

Laurence Borde, Nathalie Dupuis-Hepner et Raphaële Rabatel « Sur Internet, le savoir n’est rien sans le talent, Les Echos, lundi 12 octobre 2015 http://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/021392642108-sur-internet-le-savoir-nest-rien-sans-le-talent-1164436.php

Charte « Qualité de l’information », Assises du journalisme, Lille 21 mai 2008, p2

Jean-François Lyotard, La Condition post-moderne. Rapport sur le savoir. Les Éditions de Minuit, 1979, p. 84-85

Nathalie Piégay  « Un bouleversement du rapport aux savoirs. », Documentaliste-Sciences de l’Information 4/2014 (Vol. 51)  p. 7-9 http://www.cairn.info/revue-documentaliste-sciences-de-l-information-2014-4-page-7.htm.
DOI : 10.3917/docsi.514.0007.

Alexandre Serres « Un exemple de translittéracie : l’évaluation de l’information sur Internet » http://www.ina-expert.com/e-dossier-de-l-audiovisuel-l-education-aux-cultures-de-l-information/un-exemple-de-translitteratie-l-evaluation-de-l-information-sur-internet.html

Discernement : définition http://www.cnrtl.fr/lexicographie/discernement

Etude Terra Nova http://abonnes.lemonde.fr/economie/article/2015/11/26/numerique-vite-une-mise-a-jour-de-notre-logiciel_4818099_3234.html

Pour citer cet article https://www.scolaconsult.fr/le-brouillage-numerique-menace-linformation-sur-internet/

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